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Camargue : les terres du monde de Kôichi Kurita à Aigues-Mortes et Saint-Gilles

Cinq installations de l'artiste japonais Kôichi Kurita à découvrir à Saint-Gilles et Aigues-Mortes, dans le Gard.

« C’est un travail un peu fou dans son engagement à vouloir saisir l’univers par la terre, la chose la plus immédiate, même si on vit longtemps sans se rendre compte qu’on est sur Terre », explique Emmanuel Latreille, directeur du Fonds régional d'art contemporain Occitanie-Montpellier et commissaire des expositions du Japonais Kôichi Kurita qui se déploient tout l'été à travers la Camargue. « Le projet vise aussi à réenchanter le regard des habitants sur leur propre paysage », explique Aude Javelas, du Syndicat mixte de la Camargue gardoise, dont la mission principale concerne la protection de l'environnement et qui a été rapidement rejoint dans cette aventure par le Centre des monuments nationaux qui gère les remparts d’Aigues-Mortes et la ville de Saint-Gilles pour une triple exposition itinérante et magistrale.

Avec son look de baroudeur, Kôichi Kurita récolte en permanence de la terre, avec laquelle il crée des installations poétiques et méditatives. Citoyen du monde, il invite à regarder la planète autrement, en se tournant vers ce sol foulé par les humains. « Pour lui, la terre, c'est le monde. Toutes les terres sont des présences, c'est la nature, mais c'est aussi les hommes qui y vivent. Il y a une attention à ce qui est donné, tel que c'est donné et qu'il va révéler », poursuit Emmanuel Latreille. Cela renvoie au concept japonais de fuolo, un terroir, un territoire où les humains échangent avec la nature, dans un rapport où s'immiscent l'histoire, la mémoire. Kôichi Kurita n'est pas du tout dans la contestation du land art, il refuse la dichotomie culture nature, n'entre pas dans un système intellectuel de renversement des valeurs.

« Au Japon, il y a un proverbe qui dit : on naît de la terre et on retourne à la terre, rappelle l'artiste. Dans la terre, il y a tous les éléments de ce monde, y compris l'humain. Nous faisons partie de la nature et la détruire, c'est nous détruire nous-même. » D’ailleurs, Kôichi Kurita ne ramasse jamais de sable minéral, mais de la terre, une matière organique qui porte en elle la vie végétale et animale et qu'il traite avec respect. Après la collecte, vient ensuite un long travail de soin de cette matière pour la transformer en matériaux plastiques, triés en fonction du chromatisme, de la texture... De même, le prélèvement est minimal. Une poignée, jamais plus, par principe. « Parce que si je trouve qu'une poignée est très belle, je risque d'avoir envie d'en vouloir plus, un sachet, puis un seau, puis un camion. »


Dans ce travail au long cours, cette pratique répétitive et quotidienne, il y a d’abord une série de cartes postales. Depuis 1988, tous les jours, il colle une pincée de terre, note l’endroit, la date et, tous les trois jours, poste une carte avec les échantillons. Les missives sont adressées chez lui au Japon ou, selon les projets, aux personnes avec lesquelles il travaille. Ce journal de bord donne lieu à une installation présentée à la Maison du Grand site à Aigues-Mortes, impressionnant par sa modestie et son ampleur, par sa simplicité et sa profondeur.

C’est après avoir voyagé à travers le monde que Kôichi Kurita a commencé à regarder son environnement autrement. « J’ai voyagé, avec un sac à dos pendant cinq ans, en Inde, en Afrique... J’ai pensé qu’ainsi je pourrais apprendre des choses sur le monde. Mais de retour au Japon, je me suis rendu compte que je ne connaissais rien à ce qui était autour de moi », explique Kôichi Kurita. Alors, il a baissé les yeux pour regarder à ses pieds, la terre, les feuilles mortes, les cailloux, les fleurs… « Je me suis rendu compte que chaque pierre était différente. Je le savais déjà, mais je ne savais pas que les couleurs de la terre l'étaient aussi. J'étais vraiment surpris et déçu car je ne connaissais pas cette vérité et je ne savais pas pourquoi. » Ainsi commence le projet artistique et philosophique d’une vie.


Patiemment, Kôichi Kurita parcourt le monde, ramassant partout des poignées de terre au Japon ou en Camargue… Avant les expositions en cours, Kôichi Kurita, qui a régulièrement travaillé en France notamment à Chambord, a été accueilli plusieurs mois en résidence à Aigues-Mortes. Au fil de son séjour dans le sud de la France, il a sillonné la région, parcouru 5 000 kilomètres et recueilli 1 102 échantillons, tous identifiés par le nom du village d’où ils viennent.

Dans les tours des remparts d’Aigues-Mortes, Kôichi Kurita présente trois installations. Avec 108 terres du Japon déposées dans de petites coupelles, il crée d’abord un vaste cercle montrant l’infinie variété des couleurs, par un jeu subtil de dégradés, passant de l'ocre au rouge, du marron au noir, du gris au bleu, du vert au jaune...

Une deuxième pièce présente sur le même principe de variation colorée cent terres françaises, alignées dans de petites fioles et simplement identifiées par le lieu d’origine.

Enfin, au sol, il pose de petits cônes où se mélangent les terres et les couleurs du monde dans une fragilité éblouissante, comme un condensé de toutes les possibilités inouïes que le regard commun ignore dans sa précipitation quotidienne.

Le parcours se poursuit à Saint-Gilles, dont l'abbatiale romane est classée au patrimoine mondial de l'Unesco, et qui s'ouvre pour la première fois à l'art contemporain. Sous la lumière zénithale du pavillon de la culture, aménagé dans les anciennes halles du village, Kôichi Kurita dessine sur les papiers japon des carrés avec une terre à la texture plus épaisse. Sous la lumière changeante, le regard se perd dans une richesse chromatique insoupçonnée. A l'inverse des installations d'Aigues-Mortes qui jouent sur les dégradés, les terres sont simplement présentées par ordre de collecte et passent d'une couleur à l'autre, montrant toute la diversité de la planète dans une émotion immédiate.

Pour l’artiste, à travers cette recherche, il s’agit de célébrer la beauté du monde. « Tout le monde pense que la terre est sale, mais aucune n’est sale, explique l’artiste. On peut dire la même chose pour les êtres humains. Chacun a un visage différent, une histoire, une façon de parler. Mais tous sont beaux », explique Kôichi Kurita qui matérialise dans son travail « la durée écoulée depuis la création du monde » et donne l'occasion de la contempler au fil d'une méditation fascinante.


Jusqu'au 31 août. Tours et Remparts d’Aigues-Mortes, place Anatole-France, Aigues-Mortes. Tous les jours, 10 h-13 h et 14 h-18 h. 8 €, gratuit - 26 ans. 04 66 53 61 55.

Maison du Grand Site de France de la Camargue gardoise, route du Môle, Aigues-Mortes. Tous les jours, 10 h-12 h 30 et 13 h 30-18 h. Jusqu'à 19 h en juillet et août. Gratuit. 04 66 77 24 72.

Pavillon de la culture et du patrimoine, place Emile-Zola, Saint-Gilles. Mercredi au samedi, 14 h-18 h. Egalement dimanche en juillet et en août. Gratuit. 04 66 08 66 57.

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