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A Carré d'art, fragments de Nîmes et du monde


Le musée d'art contemporain de Nîmes Carré d'art propose une double exposition de l'Egyptienne Anna Boghiguian et du Mexicain Abraham Cruzvillegas, deux arpenteurs du monde qui proposent des oeuvres en relation avec leur contexte de production et d'exposition.

L’une vient d’Egypte, l’autre du Mexique et curieusement, Nîmes s'installe au cœur de leurs expositions, de façon très différente et dans des univers esthétiques radicalement opposés. Jusqu’au printemps, le musée Carré d’art à Nîmes accueille Anna Boghiguian et Abraham Cruzvillegas, dont la démarche s’inscrit dans une présence à long terme sur les lieux d’exposition pour produire une œuvre en rapport avec l’environnement où elle sera montrée.

Les premières toiles d’Anna Boghiguian représentent des oreilles mélangées à des mots difficiles à déchiffrer. Ce n’est pas un hasard. L’artiste est à l’écoute des bruits du monde, qu’elle arpente en permanence. Depuis le mois de juillet dernier, Anna Boghiguian, engagée dans une cartographie singulière d’une planète en mouvement, s’est installée à Nîmes.

Elle s’est laissé imprégnée par la ville. « J’ai lu beaucoup de livres, d’articles. Les gens m’ont raconté des histoires, j’ai marché, j’ai collectionné des idées, acheté des magazines d’illustrations pour regarder l’histoire de France ». Elle a découvert les liens qui unissent son pays à Nîmes, colonie fondée par des légionnaires romains rentrant d’Egypte après la bataille d’Actium, d’où le symbole du crocodile enchaîné au palmier. « Je ne connaissais pas ce lien. Une belle surprise ».

A partir de là, Anna Boghiguian construit une œuvre protéiforme où elle relit de façon personnelle toute cette histoire pour une narration pleine de poésie. Dans des dessins découpés, un peu à la manière des personnages des théâtres d’ombre asiatique, elle multiplie les saynètes comme autant d’allusions à Nîmes, l’antiquité, la tauromachie, l’industrie textile et son contexte colonial, les conflits religieux entre catholiques et protestants... La présentation s’achève par une évocation du Balcon de Jean Genet, qui se déroule dans un bordel alors que la ville, à l'extérieur, se révolte, faisant allusion aux printemps arabes et à son écho dans le monde.

Flottant au-dessus de cet étrange théâtre, Anna Boghiguian déploie une gigantesque voile de félouque sur laquelle est cousue, en toile de Nîmes, une forme évoquant à la fois les feuilles d’un palmier et la colonne vertébrale d’un crocodile. La présentation est spectaculaire, foisonnante, expressive, à la fois impressionnante par la taille et fourmillant de murmures et de menus détails...

Le cheminement s’achève dans Le Jardin de l’inconscient. L’alchimiste Anna Boghiguian invite à pénétrer dans une construction qui évoque la forme d’un mandala, où se mélangent les plantes, les poèmes, les dessins ou des rayons de cire en référence aux problèmes des abeilles, symboles de la survie du monde. Selon Anna Boghiguian, « nous avons tous un jardin, mort ou fleuri, en nous-même ». Le sien est une vaste installation immersive qui évoque « les transformations de l’esprit », une plongée dans l’inconscient à la fois individuel et collectif.

« J’aime que les choses soient difficiles à lire », explique Anna Boghiguian, passionnée par « la complexité des choses » et par la rencontre entre les univers. « On ne peut pas rester local. Tout est attaché. Rien n’est indépendant », explique l’artiste. A l’image de l’universalité de la bibliothèque d’Alexandrie, Anna Boghiguian embrasse, dans son travail, toute la profonde richesse du monde.

L’environnement de création est également au cœur du travail d’Abraham Cruzvillegas. L’artiste mexicain avait déjà été présenté à Carré d’art, en 2011 lors de l’exposition Pour un art pauvre. L'an dernier, il avait présenté Empty Lot à la Turbin Hall de la Tate Modern, une installation faite de 240 bacs triangulaires remplis de terre londonienne qui se transformaient au fil de l'exposition en un jardin de plantes sauvages.

Le titre de son exposition nîmoise Autoconstriction approximante vibrante réflexe renvoie à un concept sur lequel il travaille depuis des années. Les autoconstructions, ce sont les maisons bâties et rebâties sans cesse par leurs habitants dans les bidonvilles. Selon lui, ce processus « se décline d'autoconstruction en autodestruction, d'autodestruction en reconstruction, de reconstruction en autoconfusion, puis d'autoconfusion en autoconstriction », comme les plantes qui étranglent les arbres dont elles se nourrissent.

Pour ce nouveau projet, il a travaillé à partir de matériaux collectés sur place. Avant son arrivée, ses assistants ont ramassé des briques, des planches, des bâches, des chariots, des palettes, des morceaux de ferrailles et d'autres objets abandonnés dans les rues. Abraham Cruzvillegas a conservé toute leur sélection. « Le travail débute par une classification : industriel, fait à la main, vieux, joli, laid... Ensuite, les objets sont répartis dans les trois pièces. Puis nous avons improvisé avec aucune idée préconçue, sauf l’idée de ne faire qu’une seule sculpture ». Le pièce créée serpente entre les salles de musée, avec une étrange fragilité. L’œuvre est « instable, précaire, sur le point de tomber. C’est une métaphore de notre société où tout est près de l’effondrement ». Le spectateur est invité à déambuler au milieu de cette vaste installation, pleine des perspectives alternatives et parallèles.

Pour l'artiste, cette réutilisation, ce recyclage n'a pas une vocation écologique. Cruzvillegas sait que « la promesse de modernité est une promesse de consommation », mais refuse toute affirmation morale. « J'essaie d'être conscient, pas de donner un message », dit-il,

Au milieu du processus de production, Abraham Cruzvillegas a invité deux danseurs. L’artiste est inspiré par Israel Galvan, la star du flamenco actuel qu’il aurait aimé associer à son œuvre. Finalement, ce sont deux créateurs mexicains, spécialisés dans les danses précolombiennes (« c’est-à-dire précoloniales ») qui ont réalisé une performance sur la sculpture. Viridiana Toledo Rivera et Andrés Garcia Nestitla « sont aussi des musiciens », explique Abraham Cruzvillegas. Ils font sonner l’installation avec leurs zapateados. Chaque danseur a été filmé isolément et les vidéos sont projetées aux deux extrémités de l’installation, révélant la vie, le souffle, la voix à cet enchevêtrement faussement inerte et plein des échos du monde.

Jusqu’au 19 février. Mardi au dimanche, 10 h-18 h. Carré d’art, place de la Maison Carrée, Nîmes. 5 €, 3,70 €. Gratuit premier dimanche du mois. 04 66 76 35 70.

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