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Nîmes : une autre façon de danser à Carré d'art


Présentée dans le cadre des 40 ans de Beaubourg, l'exposition "A different way to move" à Carré d'art, à Nîmes, explore les relations entre chorégraphes, musiciens et plasticiens à New York dans les années 70.

Les corps se massent, se serrent, se pressent, puis lentement un danseur sort de la mêlée, grimpe, redescend, retrouve sa place dans un collectif dense, soudé, protecteur. Plus loin, sur un plan incliné, les corps bondissent, se croisent, se chevauchent, accélèrent le mouvement puis se figent, en tension au bout d’une corde à nœud. La scène a lieu dans une salle de musée, sous les regards proches du public. Créées pour la première fois en 1961 dans un loft new-yorkais à l'invitation de LaMonte Young, les Five dance constructions and other things de Simone Forti inaugurent une réflexion inédite sur le mouvement. Ce petits haïkus chorégraphiques viennent d’entrer dans les collections du MoMA de New York. Voici une excellente porte d’entrée vers "A different way to move", exposition érudite et sensible proposée par Carré d'art à Nîmes dans le cadre des 40 ans de Beaubourg et qui revisite l’art américain en faisant le lien entre les danseurs, les chorégraphes, les musiciens, les plasticiens.

Fondatrices d’une nouvelle esthétique, ces Dance Constructions reprennent vie à Carré d’art, chaque week-end à 16 heures, puis tous les jours cet été. Âgée de 90 ans, la chorégraphe Simone Forti est venue spécialement à Nîmes pour transmettre ces pièces pensées à partir de l'idée de sculpture, qui abandonnent la virtuosité classique, la présentation spectaculaire pour donner corps à une danse qui descend de la scène, oublie la musique instrumentale, intègre des gestes extrêmement ténus, venus du quotidien, se mêle à la vie dans un espace ouvert pour jouer avec les notions de poids, d’équilibre qui préoccupent les sculpteurs à la même époque.

« On parlait ensemble, se souvient l’artiste. Nous nous posions tous la même question : qu’est-ce que c’est que l’art ? Et pas qu’est-ce que faisait Martha Graham ou les artistes qui venaient avant nous dans notre chemin ? ». A l’époque, tous sont fortement influencés par le compositeur John Cage. « Il était très important pour tous les artistes, les peintres, les danseurs... Il venait de Californie et il était influencé par ce qui venait du Pacifique, du Japon. Alors que New York était très influencé par l’Europe », rappelle Simone Forti. C’est également en Californie, à San Francisco à la même époque, qu'Anna Halprin commence à révolutionner la danse conçue désormais comme tout ce que peut faire un corps. Elle intègre à son art les sensations, les expériences de la nature, de la voix, du son...

Avec cette confrontation, l'exposition, conçue par Marcella Lista, propose une relecture d’une période foisonnante, montrée trop souvent dans sa rigueur formelle et son austérité silencieuse. La commissaire propose un nouveau regard sur l’art minimal, en mettant au centre de son propos le nouveau rapport au corps qui émerge à l'époque chez les créateurs, dans toutes les disciplines, et plus globalement dans les sociétés occidentales.

Débarrassé de toute aspiration à la virtuosité académique, l’art new-yorkais des années 60 est une période d'expérimentation, d’émancipation esthétique et politique qui a dynamité les frontières entre les disciplines. Les sculptures deviennent sonores, les films accompagnent les danseurs sur scène, les peintures se nourrissent de littérature, la performance éloigne la création plastique de l’accrochage muséal...

De nombreuses archives vidéos parsèment le parcours, montrant les chorégraphies de Trisha Brown, récemment disparue, de Lucinda Childs ou d’Yvonne Rainer, clouée sur un lit d’hopital, qui fait simplement danser ses doigts devant la caméra. Dans leurs chorégraphies, ces artistes, essentiellement des femmes, font sauter toutes les hiérarchies et les esthétiques traditionnelles, abandonnent des partitions préalables et inventent des processus de notation après la création, délaissent l'exploit technique, dansent de façon libre sans se soucier d’une narration, d'une progression vers un climax... Dans le même temps, les avant-gardes plastiques intègrent le processus de fabrication à leur travail, jouent avec les mêmes notions d’équilibre, travaillent avec des prélèvements du monde existant, explorent des formes simples, répétitives. Les diaporamas et les images qui parsèment l’exposition, en dialogue avec les oeuvres plastiques, montrent une danse qui laisse la place à la poésie du hasard, à un goût du collage, à une nouvelle approche du mouvement qui oublie le centre et la périphérie.

The Box with the sound of its own making (la boîte avec le son de sa propre fabrication) de Robert Morris est une étrange monolithe de cèdre enfermant l’enregistrement sonore de son élaboration. Richard Serra taille des lanières dans une plaque de plomb, les disperse, les déroule, les répand à l’horizontale délaissant toute verticalité, toute présentation sculpturale magistrale. Carl Andre est sans doute le plus radical. Il utilise des plaques de métal industriel pour des sculptures au sol sur lesquels les visiteurs sont invités à marcher afin d’en éprouver les textures, les résonances... De la même façon, dans ses poésies, il travaille à partir d'éléments déjà existants, notamment des récits sur les Indiens d’Amérique.

Donald Judd s’émancipe des lois de la gravité avec ses étranges sculptures sérielles, jouant sur le contraste entre la solidité de l’acier et la transparence du plexiglas. Sol LeWitt construit des sculptures géométriques où s’articulent le plein et le vide, où s’imbriquent le volume que l’on voit et celui que l’on imagine. Avec Lucinda Childs et le compositeur Philip Glass, il participe à l'aventure de Dance, oeuvre majeure et hypnotique.

Mais toutes ces expériences sont aussi politiques, comme le montre l’expérience du Judson Dance theater, projet utopique qui voit le jour dans un église de Washington Square au sud de Manhattan. Danseurs et plasticiens créent en commun, avec une idée de libération politique des corps, avec la volonté de connecter l‘art à l’actualité. Ils mélangent la sculpture, la danse, introduisent le film sur scène, Robert Rauschenberg fait partie de l'aventure.

Avec Trio A, la chorégraphe Yvonne Rainer propose une pièce comme un collage de gestes de trois danseurs désynchronisés. Les mouvements s'alignent les uns après les autres, sans variation d'intensité, sans développement. Au moment de l’invasion du Cambodge, l’un des sommets dramatiques de la guerre du Vietnam, les danseurs reprennent cette œuvre. Cette fois, ils sont nus, enveloppés dans un drapeau américain comme la bannière étoilée qui recouvrait les cercueils des jeunes soldats, dans un geste à la fois subversif et émancipateur.

Le catalogue de l'exposition

Le catalogue bilingue de l'exposition est une véritable somme sur le sujet et sur la scène artistique de l'Amérique des années 60. Le livre reprend le découpage en six chapitres de l'exposition : De San Francisco à New York, un état de danse. La sculpture comme expérience, geste et processus. Politiques du corps, l'expérience du Judson Dance theater. Désorienter, entre ordre et dislocation. Présences minimales, l'anti-forme et l'idée de danse. Sérialité et flux, l'espace-temps combinatoire.

Les textes de Marcella Lista, commissaire et conservatrice des nouveaux médias pour le centre Pompidou, sont complétés d'éclairages sur Simone Forti et Robert Morris, sur Trisha Brown et sur Lucinda Childs et Sol LeWitt. En plus des oeuvres de l'exposition, sont rassemblées de nombreuses archives, photos, documents et une abondante chronologie depuis les premières aventures d'Anna Halprin à San Francisco en 1952 jusqu'à la création de Dance à New York en 1979.

Jusqu'au 17 septembre. Mardi au dimanche, 10 h-18 h. Performances de Simone Forti, samedi et dimanche à 16 h, puis tous les jours à 16 h en juillet et en août. Carré d'art, place de la Maison Carrée, Nîmes. 5 €, 3,70 €, gratuit le premier dimanche du mois. 04 66 76 35 70.

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