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Sète : la magie mélancolique de Jean-Michel Othoniel au Crac


Le Crac (Centre d'art contemporain) de Sète accueille une exposition spectaculaire de Jean-Michel Othoniel.

L'art de Jean Michel Othoniel est à la fois fragile et monumental. Il est solide et pourtant ne tient qu'à un fil... C'est peut-être dans ce paradoxe invitant à la méditation que se situent le charme magique et la force tellurique de son œuvre. Dans une scène contemporaine où la beauté est toujours suspecte, Jean-Michel Othoniel affirme qu'elle est subversive. Pour lui, elle est une offrande prenant tous les diktats à rebours pour inviter à la rêverie. Mais une rêverie qui peut avoir un versant mélancolique.

Avec "Géométries amoureuses" qu'il présente tout l'été au Centre d'art contemporain (Crac) à Sète, exposition dominée par des tonalités sombres, Jean-Michel Othoniel plonge physiquement le visiteur dans un univers fascinant, à la fois frémissant de sensibilité et étourdissant de recherche maîtrisée, une œuvre où le mystère est un voyage incessant.

D'emblée le regard est submergé par The Big wave, une gigantesque vague faisant écho à la photo de Gustave Le Gray prise à Sète ou à la fameuse estampe Hokusai. Il y a bien sûr l'exploit technique comme toujours chez Jean-Michel Othoniel, ces 10 000 briques soufflées par des verriers indiens, patiemment assemblées et pesant plusieurs tonnes. Mais derrière le gigantisme et le spectaculaire, se cachent les détails de ces blocs de verre tous identiques et tous différents qui viennent happer le regard dans une myriade de reflets. « La mer, la mer, toujours recommencée », chère au poète sétois Paul Valéry. Dans chaque brique comme dans chaque perle de chaque pièce, chacun peut projeter sa sensibilité, son imaginaire, son histoire, ses envies de départ. C'est bien ça la rêverie suggérée par Jean-Michel Othoniel. Son œuvre spectaculaire et magique, si subtile, si raffinée, si précieuse est une œuvre ouverte.

Pour l'artiste, même si chaque projet exige un long processus de fabrication et donc de réflexion, il est une porte d'entrée vers un ailleurs où chacun peut sinuer selon ses propres désirs. Et le désir, avec la part d'absence qu'il suppose, est le cœur battant de son travail, désir de lointain, désir d'émerveillement, désir de sublimation.

Artiste baroque, Jean-Michel Othoniel n'est pas un léger qui fait dans le décoratif. Ses obsidiennes taillées dans des météorites récoltées en Arménie évoquent le polyèdre insaisissable de Dürer, renvoyant l'homme à la fragilité de ses connaissances et de ses sensations. Ils sont aussi autant d'autoportraits mélancoliques, pleins des vibrations de l'univers infini, pleins de l'énergie de la terre renvoyant aux chaos des origines. C'est lors d'un voyage dans les îles éoliennes, volcans au larges de la Sicile, alors qu'il travaillait encore sur le soufre, que Jean-Michel Othoniel a découvert l'obsidienne et ses capacités plastiques. De retour en France, il a commencé à travailler autour de la vitrification du basalte avec le Cirva à Marseille et son art a basculé vers le verre.

Puis viennent les Black Lotus. Face aux sculptures en fonte d'aluminium peintes en noir, Jean-Michel Othoniel dévoile pour la première fois une série de peintures, présentées de façon autonome. A l'étage du Crac, il expose une multitude d'aquarelles, projets préparatoires pour les fontaines de Versailles, le mausolée de Jean Lafont en Camargue ou sa fameuse bouche de métro de la place Colette. Ici, ce sont des tableaux et non des études, peints sur des toiles couvertes de feuilles d'or blanc. Dans une apparente simplicité, il fait danser les fleurs, icônes noires formant des entrelacs dansants et quasiment abstraits. Le regard se promène entre les peintures et les sculptures pour en deviner les conversations secrètes.

Ces perles noires miroitantes donnent également naissance à de douces tornades. Suspendues aux hauts plafonds des anciens frigos du Crac, les spirales bougent légèrement, en équilibre fragile. Le corps du visiteur est sollicité, entraîné dans les reflets, qui se démultiplient, dessinent des horizons mouvants. « Pour moi, la tornade est une métaphore de la création elle-même, explique l'artiste. Plus puissante que l'artiste, elle le domine et si celui-ci ne reste pas centré, elle l'éjecte. Il devient alors lui-même spectateur de son propre travail ».

Au milieu, une tornade violette et pourpre annonce la suite. L'exposition se termine avec The Wild Pansy, la pensée sauvage, pensée au sens de fleur. Mélange de rouge, de rose, de pourpre, d'indigo, jouant avec les transparence, elle n'est pas vraiment un achèvement, mais une annonce, une promesse, une transition, une invitation à poursuivre la balade vers l'autre exposition de Jean-Michel Othoniel, au Carré Sainte-Anne à Montpellier où il dévoile sa collection personnelle, les oeuvres conservées au fil de sa carrière. Billet à suivre...

Le livre Obsidiana chez Actes Sud

La présentation s'accompagne d'une publication chez Actes Sud qui n'est pas le catalogue de l'exposition, mais une évocation du travail de Jean-Michel Othoniel autour de la noire obsidienne. Livre objet, évoquant la forme du polyèdre mélancolique de Dürer, Obsidiana montre comment l'artiste a découvert ce verre volcanique, magique et mystérieux lors d'un voyage aux Eoliennes, puis l'a utilisé pour des sculptures montrées au Goetheanum de Bâle en 2015. Les illustrations permettent de découvrir abondamment l'architecture étrange des lieux, pensés par Rudolf Steiner, et les oeuvres in situ, engagées dans un dialogue avec les rondeurs et les angles du bâtiment qui abrite le siège de Société anthroposophique universelle. Préfacé par Johannes Nilo, du centre de documentation du Goetheanum, le livre bilingue s'articule autour d'un texte de Lawrence Rinder, directeur du Berkeley Art museum autour de l'obsidienne, utilisée depuis l'homme de Neandertal jusqu'aux sculptures d'Othoniel, dont les socles ont été taillés sur place dans du bois de châtaignier et qui évoquent selon l'auteur « les tendres reflets des chagrins de la jeunesse de l'homme ».

Informations pratiques

Jusqu'au 24 septembre. Lundi, mercredi, jeudi, vendredi, 12 h 30 à 19 h. Samedi, dimanche, 15 h à 20 h. Centre régional d'art contemporain, 26 quai Aspirant-Herber, Sète. 04 67 74 94 37.

Pour aller plus loin

La page consacrée à Jean-Michel Othoniel sur le site de sa galerie Emmanuel Perrotin.

Un long entretien vidéo avec Jean-Michel Othoniel.

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