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Avignon : l'enfance et les chaos du monde à la Collection Lambert


Eric Mézil, le directeur de la Collection Lambert, a un talent rare pour faire dialoguer les œuvres, mêlant régulièrement art contemporain, tableaux classiques, objets d’art, archives ou pièces historiques. Cet été, il entremêle les projets faisant dialoguer entre elles plusieurs expositions qui n’en forment finalement qu’une, lisible avec une étonnante fluidité.

L’agrandissement du musée, qui a rendu le parcours de visite encore plus labyrinthique, est un atout supplémentaire pour donner du cœur et de la vie à ces variations autour de l’état du monde, du regard que les artistes portent sur son chaos. Et la seule énumération des projets ne dit pas les émotions multiples qui naissent de cette visite pleine de détours et de frontières abattues.

Dès la cour, le visiteur est accueilli par le Coup de boule d’Adel Abdessemed. Présenté en 2012 sur la parvis de Beaubourg, le gigantesque bronze de quatre tonnes reproduit le coup de tête de Zidane à Materazzi lors de la finale du mondial de football à Berlin en 2006. Artiste habitué aux coups de poing visuels, Abdessemed s’empare de ce geste fou pour montrer de façon monumentale la fragilité du héros. Dans la cour, face à l’architecture classique de l’hôtel de Caumont, l’impact de l’œuvre plus fort encore qu’à Paris.

Les uppercuts se poursuivent avec l’Américain Andres Serrano. Photographe habitué du musée, il présente son dernier projet autour de la torture en regard de gravures sombres de Francisco de Goya.

Loin du photojournalisme, il livre une série de natures mortes avec des objets de l’inquisition, des clichés du camp de Buchenwald ou des locaux de la Stasi, les portraits d’anciens prisonniers de l’Ira qui ont accepté pour l’occasion de porter à nouveau les cagoules qu’on leur mettait sur les yeux pour les longs interrogatoires.

Parallèlement, Serrano fait rejouer des scènes à des modèles, photographiés dans des éclairages et des cadrages où se répondent l’art classique et les images d’actualité.

La gêne qui naît de la beauté frontale et glaçante de ces photos, tirées sur dans des formats démesurés, est à la hauteur du silence qui entoure le phénomène, voire de la dangereuse pente que prennent les sociétés occidentales, qui se sentant menacées, sont de moins en moins choquées par des comportements et une justice d’un autre temps.

L’actualité est également au cœur du projet d’Amos Gitaï. Parallèlement à la pièce qu’il présentait cet été dans la cour d’honneur pour le festival d’Avignon autour d’Yitzhak Rabin, le réalisateur israélien présente Chronique d’un assassinat. Plasticien, architecte de formation, homme de théâtre et de cinéma, l’artiste aime multiplier les formes autour d’un même projet, montrant toute la complexité de l’histoire, de la mémoire, de sa transmission. Ici, dans une ambiance de fièvre nocturne, il mélange vidéos d’archives, photos retravaillées de son film Le dernier jour d'Yitzhak Rabin, souvenirs de son père, architecte du Bauhaus chassé d’Europe par les nazis, figurines en céramiques, montrant avec sensibilité la montée de la violence qui allait entraîner la mort de Rabin et les désillusions qui ont malheureusement suivi l’événement.

Le parcours s’achève avec un peu de fraîcheur par une évocation de l’enfance, née du projet du chorégraphe Thierry Thieû Niang, soutenu par la Collection Lambert. Le plasticien Claude Levêque, qui a créé la scénographie du spectacle, est au cœur de l’exposition avec de nombreux messages inquiétants et poétiques écrits d'une main gauche et enfantine ou les tipis et les portraits d’enfants de son installation La Nuit, rarement montrée.

Les photos iconiques de l’enfant bras levé dans le ghetto de Varsovie ou de la petite fille fuyant le napalm au Vietnam prennent forme grâce aux sculptures d’ivoire d’Adel Abdessemed. L’étrange douceur des gamins de Nan Goldin, les bonbons de Felix Gonzalez-Torres, les visages de Marlène Dumas, les énigmes autour de l’identité de Roni Horn ou les poupées déglinguées et dansantes d’Annette Messager viennent compléter ces questionnements autour de l’innocence, de la révolte et du romantisme qui accompagnent les jeunes regards.

Andres Serrano jusqu’au 25 septembre dans le cadre des Rencontres d'Arles. Autres projets jusqu’au 6 novembre. Mardi au dimanche, 11 h-18 h. Collection Lambert, 5 rue Violette, Avignon. 10 €, 8 €, 2 € - 11 ans, gratuit - 6 ans. 04 90 16 56 20.

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