Nîmes : Jean Suquet et l'esprit de Marcel Duchamp
Jean Suquet est un personnage étrange, un poète et photographe qui traverse l’histoire de l’art avec la volonté farouche de rester indépendant. Aujourd’hui, le galeriste nîmois Philippe Pannetier défend son œuvre et lui consacre une exposition à la galerie du Lac gelé à Nîmes, indispensable pour redécouvrir l’œuvre d’un artiste singulier et passionnant.
Comme André Breton et Louis Aragon, Jean Suquet commence par des études de médecine. A la fin des années quarante à Paris, il fréquente les surréalistes puis devient photographe dans les années cinquante. Participant à l’Exposition universelle de Bruxelles en 1957, il en revient effrayé par les tirages grands formats de ses photos. En 1963, il obtient le prix Niepce, Cartier-Bresson et Jacques-Henri Lartigue font partie du jury, mais Jean Suquet jette sa médaille dans la Seine. Bref, un insoumis, un intransigeant qui n’a jamais vendu une photo de son vivant, fuyait la reconnaissance et brûlera l’immense majorité de ses tirages et de ses négatifs en 2002, peu de temps avant de disparaître en 2007.
Mais la grande rencontre de sa vie, sera l’œuvre de Marcel Duchamp qu’André Breton lui suggère d’étudier. Il en tirera un texte majeur, saluée par le père du ready made et proposera une piste pour compléter le Grand Verre, œuvre fondamentale de Duchamp en faisant le lien entre la mariée et les célibataires.
L’exposition nîmoise rassemble une cinquantaine de tirages noir et blanc. Sa série Pierre Vive est au cœur de la présentation. Pendant une dizaine d’année, il photographie une statue (une mariée mise à nu ?) un peu ingrate du Champ de Mars, attentif aux détails, aux ambiances : sous la pluie, entourée d’enfants, sous la neige, au loin, abîmée, au clair de lune...
Les allusions à Duchamp sont parfois évidentes, quand il photographie une ombre descendant un escalier ou un petit mot signé par son ami flottant au dessus de l’air de Paris. Mais c’est surtout une connivence qui traverse l’œuvre de Suquet.
Un autoportrait halluciné et géométrique ou la rencontre entre une rose et un scorpion rappellent l’influence du surréalisme. D’autres photos donnent plus dans la douceur, gamin dans la rue devant une affiche de film coquin, perspective sensible à travers la vallée de Chevreuse, nus pleins d’élégance, vues embrumées de la Russie. Un peu à la manière de Brassaï, Jean Suquet se situe dans une passionnante rencontre entre la tradition de la photographie humaniste française et les expériences surréalistes.
Jusqu'au 15 octobre. Mercredi au samedi, de 14 h 30 à 18 h 30. Le Lac Gelé, 3 Grand’Rue, Nîmes. Entrée libre. 04 66 36 76 49.