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"Laëtitia" d'Ivan Jablonka ou la littérature du réel


Avec "Laëtitia ou la fin des hommes" aux éditions du Seuil, l'écrivain et historien Ivan Jablonka s'empare d'un fait divers, l'assassinat de Laëtitia Perrais par Tony Meilhon, pour un livre à l'ampleur impressionnante, redonnant une existence à la victime tout en étudiant l'impact de cette affaire sur la société.

Dans le cadre d'une instruction, le juge charge les experts et les enquêteurs de recueillir "tout indice permettant la manifestation de la vérité". Mais la vérité policière et judicaire n'est pas toute la vérité... Avec Laëtitia ou la fin des hommes, Ivan Jablonka s'empare d'un fait divers, l'affaire Laëtitia Perrais, une jeune fille de 18 ans, assassinée puis démembrée, non pour livrer sa vérité mais pour essayer de saisir une histoire singulière dans ce qu'elle a de plus vaste.

D'emblée, on est frappé par l'ampleur et l'ambition du projet, la hauteur de vue d'Ivan Jablonka. Historien, sociologue et écrivain, il entrecroise les disciplines dans un objet éditorial étrange et étonnant de densité. Ce livre n'est ni un essai, ni un récit, ni un témoignage. Encore moins un roman, mais une recherche pour embrasser dans son ensemble un fait divers sordide, transformé en affaire politique. Surtout, c'est un projet, un combat personnel pour redonner sa dignité à une victime, une jeune fille chahutée par la vie, qui passait son temps devant les séries télé et à envoyer des SMS mais qui débutait dans l'âge adulte, pleine d'espoirs et d'envies. Jablonka explique que le traitement des faits divers insiste toujours sur le profil du coupable, il a voulu inverser la perspective pour parler d'une jeune fille, dont l'existence a débuté, aux yeux de la société, au moment où elle est morte.

L'écrivain a rencontré sa soeur jumelle Jessica, ses amis, sa famille, a visité les lieux de son enfance, de sa jeunesse et de son supplice. Le parcours est incroyablement chaotique, un père violent, une mère dépressive, un placement en famille d'accueil où elle retrouve un peu de stabilité et d'affection mais où le père de substitution a violé sa soeur. Et puis, cette envie de liberté, de voler de ses propres ailes jusqu'à la brûlure définitive, cette nuit avec un fou furieux multirécidiviste qui se termine dans un carnage.

On songe bien sûr à Truman Capote ou à Emmanuel Carrère. Mais Ivan Jablonka va plus loin. Il ne se contente pas de raconter une histoire et de décortiquer une enquête. Il l'analyse sans cesse les faits, les circonstances, les personnages et dans toutes leurs dimensions. Car l'affaire est aussi politique. Le Président Sarkozy dénonce l'attitude des juges qui se mettent en grève pour pointer l'incurie de l'Etat et refuser l'ingérence démagogique du pouvoir exécutif. Elle a aussi sa dimension médiatique. Dès le départ, les médias et notamment les chaînes de télé s'emballent pour cette disparition. Et la puissance du livre réside justement dans cet enchevêtrement.

Jablonka a rencontré tous les protagonistes de l'affaire, les juges et les enquêteurs, a noué une relation d'amitié avec l'avocate de Jessica et la journaliste de l'AFP qui a suivi dès le départ l'enquête. Il présente son travail en cercles concentriques pour pointer le regard sur l'intime, l'élargir sur l'histoire de la justice, de la protection de l'enfance, du sort des femmes, de la passion pour les faits divers, puis il revient au destin tragique de Laëtitia, à son amourette d'un soir avec son bourreau, il décrit la folie de son assassin, son passé de petit caïd, ses foucades pendant l'enquête et le procès. Jablonka avance, revient sur ses pas, il précise, il ausculte les détails, cherche à dire l'indicible. Sans cacher son empathie, son dégoût, il ne prend jamais le lecteur en otage, passe sans cesse et avec fluidité d'un registre à l'autre, de la littérature à l'histoire, de l'analyse sociologique au récit de l'enquête, de son regard personnel à la signification profonde de cette affaire pour la société.

Laëtitia ou la fin des hommes, d'Ivan Jablonka. Editions Seuil, collection La Librairie du XXIe siècle. 400 pages. 21 €.

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