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Jim Fergus : "La plupart des Américains ne savent rien au sujet des Indiens"


L'auteur américain Jim Fergus publie La Vengeance des mères, la suite de Mille femmes blanches vendu à 600 000 exemplaires en France. Il imagine le sort de femmes partis vivre chez les Cheyenne, en pleine guerre contre le gouvernement américain.

Seize ans après Mille femmes blanches, vous publiez La vengeance des mères. Au départ, vous ne vouliez pas écrire de suite. Comment vous êtes-vous décidé ?

C'est vrai que je n'avais pas l'intention d'écrire une suite, je ne suis pas fan en général. Mais les idées pour les livres arrivent comme ça. J'ai écrit d'autres livres au sujet des Indiens. J'avais d'autres projets, je voulais faire un roman sur ma mère d'origine française et ma grand-mère.

Je me suis baladé avec mon chien et ma caravane dans les grandes plaines, dans ces paysages que j'adore, mes préférés dans l'ouest. J'ai commencé à y penser, je suis allé voir les endroits où avaient eu lieu les batailles, les massacres, les anciens villages cheyennes, les lieux où ils ont vécu. Et je me suis rendu compte que j'avais trois survivantes dans Mille femmes blanches, Martha et les soeurs Kelly. Je me suis demandé : où elles sont maintenant ?

Je suis allé à la réserve cheyenne, voir des gens que j'ai connus autrefois, la plupart n'étaient plus là. J'ai fait des recherches pendant 25 ans pour publier mon livre en 1998. Ce paysage m'a inspiré et j'ai retrouvé la piste de mon histoire. Et maintenant, j'ai décidé de faire une trilogie.

Finalement, vous prenez goût aux suites...

Je considère qu'une trilogie, c'est différent d'une suite. J'ai résisté à cette idée car à mon avis, les suites sont presque toujours moins bonnes. Et même dans des occasions rares, quand c'est mieux, c'est quand même perçu comme moins bien.

Ce nouveau livre commence exactement au moment où se termine Mille femmes blanches, mais c'est un roman complètement différent. Dans le processus d'écriture, il y a une envie de découvrir ce qui va arriver. Les lecteurs et les auteurs sont finalement assez similaires, ils veulent savoir ce qui va arriver.

Ma troisième idée est de m'intéresser aux descendants de mes propres personnages. Je veux explorer les autres générations. Le troisième commencera au moment où s'arrête le deuxième, mais pour évoquer la génération suivante, la suite de cette période, l'histoire des Cheyennes en général. Ce sera un portrait un peu plus complet de cette histoire : qu'est-ce qu'il reste aujourd'hui ?

Comment est née cette idée littéraire du programme Femmes blanches pour les indiens (Brides for Indians) qui s'inspire d'une réalité ?

La seule chose vraie, c'est que lors d'une conférence de paix, des Cheyennes ont demandé aux représentants de l'armée mille femmes blanches pour se marier avec des Indiens. Ils pensaient à la vie du Peuple après, quand il n'y aurait plus de bisons. Ils sentaient que la fin de leur mode de vie approchait. Comme il s'agit d'une culture matrilinéaire, ils pensaient que les enfants qui naîtraient ne seraient pas considérés comme des métisses ou comme des Cheyennes, mais comme de vrais blancs acceptés par la société. C'était tragique pour eux, car c'était la fin de leur propre tribu.

Au départ, j'ai fait des recherches car je voulais écrire une biographie du grand chef Little Wolf. Quand j'ai découvert cette histoire, j'ai abandonné la biographie pour un roman, pour comprendre comment cela aurait pu marcher ? Et tout le reste est inventé.

Comment avez-vous travaillé ? Quelle est la part de l'enquête et de l'imagination ?

J'ai fait énormément de recherches sur la vie des Indiens, leur culture. J'ai passé beaucoup de temps dans les réserves pendant l'écriture de Mille femmes blanches. J'ai été en contact avec un Cheyenne qui m'a beaucoup aidé, j'ai rencontré les anciens qui possédaient encore l'histoire orale. J'ai lu beaucoup de livres, j'ai fréquenté les bibliothèques, les musées...

Mais j'ai été journaliste pendant 20 ans, il est plus difficile d'écrire que de faire les recherches.

Le cri d'un faucon, les plaintes des femmes indiennes, les chants des femmes blanches, le vent dans la plaine... Votre livre est très sonore. Vous donnez beaucoup à voir mais aussi beaucoup à entendre...

Je n'avais pas pensé à ça. Je connais très bien ces paysages depuis des décennies. Pour faire un portrait complet de cette campagne, il faut tout voir. Ce que j'écris dans ma tête est très visuel.

Dans tous ces voyages, il y a aussi les tempêtes, les animaux, c'est très visuel, mais il y a aussi les sons. Le paysage est un personnage très important dans cette histoire.

Pourquoi avoir choisi de raconter cette histoire à travers le regard des femmes ? Et plus particulièrement celui des femmes blanches ?

Le choix s'est imposé par le sujet. Je n'avais pas le droit d'écrire le regard d'un Cheyenne. A travers les femmes, c'est une façon très intime d'entrer dans la société, la culture, l'époque.

Pourquoi avoir choisi la forme dans les deux livres de carnets écrits par les personnages ?

J'aime bien écrire à la première personne. J'ai lu beaucoup de carnets de ceux qui ont vécu avec les Indiens ou des pionniers. C'était toujours écrit par des femmes.

Le carnet offre une perspective plus intime. On y écrit des choses qu'on ne dit pas au public ou à ses amis. Je voulais poursuivre cette piste qui était déjà celle de Mille femmes blanches. Mais cette fois, il y a trois voix, avec des points de vue différents, c'est plus rond, plus complexe.

La violence que vous mettez en scène dans votre livre est-elle toujours présente aux Etats-Unis ? Comment l'expliquez-vous ?

Oui, c'est effrayant. Cela devient de pire en pire. Je ne suis pas sociologue. Je suis en train de lire un livre sur l'histoire de Paris et il y a dans le passé de tous les humains une grande part de violence. C'est affreux et déprimant de voir qu'on n'apprend rien du passé.

Aux USA, il y a une histoire de la violence, une culture du fusil que tous les Américains veulent avoir. Et Donald Trump incite encore aux pires passions, le racisme, le sexisme. Cet aspect des Américains est resté longtemps assez silencieux, mais avec Trump, cela s'est libéré.

Les femmes qui s'engagent dans la bataille savent que leur combat est perdu d'avance. Pourquoi une telle résistance ?

Ce n'est pas seulement un roman sur la vengeance. Il y a beaucoup d'espoir dans ce livre. C'est dans la nature humaine d'avoir l'espoir d'une vie meilleure, de souhaiter que les enfants survivent.

Les soeurs Kelly ont vécu les massacres, elles ont beaucoup perdu. Elles sont amères, en colère contre le gouvernement américain, contre les soldats, contre l'armée. Mais il y a le nouveau groupe de femmes qui vient d'arriver, elles sont plus innocentes. Cela permet deux regards différents.

Dans le roman, elles n'ont pas beaucoup le choix et les Cheyennes non plus. Ce sont les dernières bandes libres dans les grandes plaines, les autres ont déjà rejoint les réserves où leur vie est épouvantable. Eux préfèrent mourir que de vivre dans des réserves. Mais, ils sont aussi responsables de la tribu, des femmes, des enfants...

Mes femmes blanches sont toutes en marge de la société. Elles sortent des prisons, des asiles... Elles n'ont rien, ne peuvent pas revenir en arrière. Elles n'ont pas d'autre choix que de lutter avec les Cheyennes.

Mais dans ce livre, il y a aussi de la joie et de l'amour, des femmes pour les enfants et même de l'amour romantique. C'est comme ça, la vie. Tout semble désespéré mais on espère quand même.

Quelle est la place de ces massacres aujourd'hui dans la conscience américaine ?

Ce n'est pas connu de la plupart des Américains qui ne savent rien au sujet des Indiens, sur la façon dont ils ont été traités, sur la façon dont le gouvernement s'est comporté. Ca revient un peu avec l'affaire de Standing Rock... Dans la presse aussi.

Globalement, les Indiens sont complètement ignorés. Ils n'ont aucune voix dans le monde et dans la politique des blancs qui se foutent des Indiens.

Les Américains ne vont pas dans les réserves. Ou alors, ils y passent pour aller ailleurs, mais ce n'est pas une destination touristique. Certaines réserves sont un peu plus riches, grâce au pétrole ou aux casinos, mais cela n'a rien à avoir avec le culture indienne. C'est un tiers monde au milieu du nôtre.

Ce livre est-il pour vous une façon de mettre sur la devant de la scène cette question ?

Ce n'est pas à moi de prendre leur cause, je suis romancier. Je veux faire voir comment c'était. Quand j'écris un roman, je veux explorer la vérité. Si mon livre peut aider à cette prise de conscience, tant mieux, mais ce n'est pas mon but. Je suis un conteur et j'essaie de raconter une histoire intéressante et d'un esprit vrai.

En épigraphe, vous publiez quelques lignes de votre ami Jim Harrison, récemment disparu. Quelle est l'importance de sa littérature sur votre travail ?

Nous avons été très amis pendant 37 ans. J'étais avec lui la veille de sa mort. Il m'a beaucoup aidé dans ma carrière surtout au moment de la publication de Mille femmes blanches. Il m'a présenté au public français, il est venu avec moi pour la sortie, on a fait des émissions de télévision ensemble. Il était ravi de mon succès. J'avais déjà 50 ans, je n'étais pas précoce comme romancier. Il était très généreux avec tous ses amis, il les a toujours soutenus, il a fait ce qu'il pouvait faire. Il n'était jamais en concurrence.

En littérature, on avait des intérêts similaires. Je ne me compare jamais à ses livres. Lui, c'était un génie. Moi, je suis un conteur.

En esprit, on était proche par notre intérêt pour la nature. On a fait des balades, des voyages, des parties de pêche ensemble. Il s'intéressait aux Indiens aussi. Il a passé beaucoup de temps à écrire sur le sujet. Mais je ne le voyais pas comme un mentor et il ne me voyait pas comme un protégé.

Il avait 16 ans de plus que mois. On a beaucoup discuté de nos carrières, il a beaucoup parlé de ses expériences terribles avec Hollywood. Et moi, quand ça m'est tombé dessus, je pensais que ça allait être différent...

Une dernière question qui n'a rien à voir avec votre livre. Que pensez-vous du prix Nobel de littérature décerné à Bob Dylan ?

Je suis ravi. Evidemment, il y a des écrivains comme Philip Roth ou Don DeLillo qui doivent être un peu déçus, après toute cette carrière comme romancier. C'est difficile de comparer le métier de chanteur qui écrit des bonnes chansons et le métier d'écrivain. Mais cela ouvre le Nobel, l'esprit du prix. C'est une bonne chose, il le mérite. J'ai toujours aimé ses chansons.

La littérature n'est pas une chose sacrée. On peut avoir un regard plus large et cela inclut Bob Dylan. Et puis, c'est aussi amusant !

La Vengeance des mères, de Jim Fergus. Editions Le Cherche Midi. 464 pages. 22 €.

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