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Arles : la comédie humaine d'Alice Neel à la fondation Van Gogh


Peu montrée dans les musées européens, Alice Neel est à l'affiche de la fondation Van Gogh à Arles avec une exposition majeure.

Une question surgit dès la première salle de l'exposition consacrée à Alice Neel par la fondation Van Gogh à Arles. Avec fracas ! Pourquoi aucune grande institution française n'a jamais consacré d'événement d'envergure à cette artiste décédée en 1984 et qui a traversé le XXe siècle avec une oeuvre libre, dense et puissante ? L'injustice (car c'est est une à l'évidence) est enfin réparée et de manière magnifique.

C’est une véritable comédie humaine qu’a peinte Alice Neel tout au long de sa vie. Peu connue des amateurs d’art français, peu montrée dans les musées européens, la peintre américaine est à l’honneur grâce au travail de Jeremy Lewison, spécialiste de son œuvre et de l'art américain. Ancien directeur des collections de la Tate Gallery, il a notamment écrit des textes sur Jackson Pollock ou Barnett Newman, assuré le commissariat de l'exposition consacrée aux oeuvres tardives de Turner, Monet, Twombly à Stockholm. D'abord présentée à Helsinki en Finlande et à La Haye aux Pays-Bas, la rétrospective consacrée à l'artiste américaine fait escale à Arles, avant de partir pour Hambourg en Allemagne. La dernière présentation de son travail dans un grand musée français semble dater de 1996 à l'occasion de "Féminin Masculin : le sexe dans l'art" au centre Georges-Pompidou, qui ne possède aucune oeuvre de l'artiste dans ses collections.

Pour des raisons pratiques, l’accrochage, qui rassemble environ 70 toiles, débute par les grands formats peints par Alice Neel à la fin la carrière. Loin d’en troubler la perception, cette remontée vers les origines de l’œuvre est au contraire une entrée en matière spectaculaire. L’essentiel de l’œuvre d’Alice Neel est consacré aux portraits qui sont comme des propositions de rencontres. L’artiste laisse souvent la toile inachevée, elle n’embaume pas ses sujets, mais peint des personnes vivantes avec lesquelles le visiteur est invité à poursuivre le dialogue entamé lors des séances de pose.

Marquée par l’expressionnisme allemand dans ses premières années, elle ne craint pas le réalisme, voire la crudité pour des images saisissantes. En 1984, se sachant condamnée par le cancer, elle peint sa belle-fille en deuil, bouleversante projection de sa propre histoire. À la même époque, cette communiste isolée dans une Amérique capitaliste, livre le portrait de Gus Hall, président du PC américain et quatre fois candidat à la présidence des États-Unis. Mine sauvage, regard bleu perçant, chapka sur la tête, il semble descendre d’un avion après une entrevue avec Brejnev.

À travers ses portraits du monde de l’art, Alice Neel, qui a toujours vécu difficilement, élevant seule ses enfants, essaie de forcer des portes qui lui restent fermées. Traversant les périodes de l’abstraction triomphante, du pop art, de l’art minimal et conceptuel, Alice Neel reste à contre-courant des avant-gardes, cultivant une fidélité absolue à une figuration très personnelle. Elle livre notamment plusieurs toiles troublantes autour des figures de la Factory. Andy Warhol est représenté les yeux fermés, fragile, torse nu et couturé après sa tentative d’assassinat par Valérie Solanas. Autour de lui apparaissent les corps ambigus des travestis Jackie Curtis ou Rita Redd ou le fondateur de la revue Interview Gérard Malanga...

Le titre de l'exposition "Alice Neel, peintre de la vie moderne" fait explicitement référence à Baudelaire. « La modernité, c'est le transitoire, le fugitif, le contingent, la moitié de l'art, dont l'autre moitié est l'éternel et l'immuable. Il y a eu une modernité pour chaque peintre ancien », écrivait le poète. Comme Baudelaire qui dérobait le vieil alexandrin pour une poésie de son temps, Alice Neel utilise les pinceaux, la couleur et la figuration pour dire le monde dans lequel elle vit, celui des outsiders qui rêvent aux lendemains qui chantent.

Alice Neel peint aussi ses proches, toujours avec un regard débarrassé des canons classiques. Elle réalise notamment plusieurs nus de femmes enceintes, sujets très intimes et situations peu montrées en peinture. Du critique d'art John Perreault, elle peint un nu frontal, le sexe lourd jeté à la face du regardeur. Chaque fois, le cerne bleu ou noir qu’elle utilise pour modeler les corps renforce la froideur d’un regard à la recherche de l’implacable vérité des êtres.

Nourrie par Cézanne pour le trouble des perspectives, par Otto Dix ou Edvard Munch pour la touche expressionniste, Alice Neel, peintre très sédentaire à la manière d’un Lucian Freud ou d’un Francis Bacon, cherche l’âme derrière la peau, pour une peinture intime et psychologiquement chargée. Dans les quelques natures mortes ou scènes d’intérieur, elle se dévoile en recluse. Alice Neel peint assise dans ses petits appartements de l'Upper West Side ou de Spanish Harlem, où elle vit aux côtés des humbles dans une ville qui ne s'est pas encore gentrifiée. L'artiste ne s'épargne pas elle-même. Dans son seul autoportrait, toile appartenant à la National Portrait Gallery de Washington et qui n'est pas exposé à Arles, elle se regarde nue et vieillissante, les seins lourds, la chair flasque avec cette même sincérité, mais un pinceau à la main, toujours prête à en découdre...

Les toiles plus anciennes peintes dans les années 50 et 60 montrent la dureté d’une vie traversée de drames et de séparations. Elle peint sa mère en peignoir, usée par les ans, sans tricher. Le titre du tableau, Dernière maladie, vient souligner le propos. Elle croise aussi le jeune peintre Robert Smithson, plié à l’intérieur d’un petit tableau ou le regard inquiétant du fou Randall.

L’influence de Van Gogh apparaît dans le portrait du journaliste communiste Art Shields, sur fond jaune. En 1951, le Met de New York acquiert L’Arlésienne dans la même gamme chromatique, quelques années après une grande exposition du maître à New York et à Philadelphie. En remontant plus loin encore, ressurgissent ses premières amours, les enfants dont elle a été séparée et une vision du corps et des hommes cruelle et désenchantée qui restera prégnante à travers les années.

Informations pratiques :

Jusqu'au 17 septembre. Tous les jours, 11 h à 19 h. Nocturne jusqu'à 21 h le premier jeudi du mois. Fondation Van Gogh, 35 ter rue Docteur-Fanton, Arles. 9 €, 7 € réduit, 4 € jeunes et étudiants, gratuit - 12 ans. Pass famille 15 €. 04 90 93 08 08.

Pour aller plus loin :

L'exposition Alice Neel à l'Ateneum d'Helsinki.

L'exposition Alice Neel au Gemeente Museum de La Haye.

Le site du critique d'art Jeremy Lewison.

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