Les âmes simples et montagnardes de Pierre Adrian
A 25 ans, Pierre Adrian publie "Des âmes simples" chez Equateurs, livre puissant sur un prêtre isolé dans les Pyrénées.
Il y a quelques années, Pierre Adrian publiait un livre à l'étonnante maturité sur les traces de Pier Paolo Pasolini, distingué notamment par l'Académie française. Le jeune auteur est de retour avec un livre tout aussi brillant, Des âmes simples, publié par les éditions des Equateurs. Pierre Adrian avait 24 ans quand il a croisé pour la première fois le frère Pierre, l'âge qu'avait justement le prêtre quand il s'est installé aux confins des Pyrénées. Les deux Pierre, comme le premier pape, croient en l'homme, même s'ils n'ont pas la même foi. Pierre Adrian va s'immerger dans la vie du monastère où officie le prêtre pour raconter cette vie à l'écart des caméras, mais pourtant au coeur du monde.
Pierre Adrian vit à Paris aujourd'hui. Frère Pierre a débuté son ministère dans un autre monde, avant la civilisation de la télévision et du tracteur. Mais tout deux, malgré leurs différences, ont la même curiosité pour l'homme. Ils savent qu'au commencement était le verbe et que c'est par la parole que l'homme est homme, que c'est par les mots que l'écrivain comme le prêtre transmettent leurs messages. « La bouche trahit un pays, écrit Pierre Adrian. Ces mots en commun que nous prononçons autrement. On pourra parler de saccage quand la génération Hanouna aura détruit la langue, cariée par le langage télévisé et ses slogans. Et si je me fie aux repères culturels, aux messages publicitaires qui m'entourent, je suis plus proche d'un Londonien ou d'un New-Yorkais que d'Albert », le compagnon du Pierre au monastère. « Là-bas, derrière l'Atlantique, ils ne parlent pas la même langue que moi, certes. Mais nous partageons le même langage ».
Dans son îlot de paix au milieu des montagnes, frère Pierre accueille avec la même bienveillance les pèlerins de passage, les bergers qui ont perdu la foi, les drogués abstinents, des anciens prisonniers...
« Pierre écoute. Il n'est pas là pour convertir. Dieu ne contraint pas. On l'appelle, il écoute seulement ». Sans juger. « Je crois, dit-il, qu'il faut faire crédit aux hommes. Nul n'est à l'abri d'être sauvé. Gardons-nous de désigner les bons et les mauvais, de montrer du doigt les antéchrists. Souvenons-nous du larron qui se convertit au seuil de la mort ! » Frère Pierre parle à tous avec un égal respect, observe la marche du monde en sachant d'où il vient, en sachant où il va. Et l'auteur observe tout ce monde avec un regard toujours à hauteur d'homme et toujours à la bonne distance. « L'époque n'a peut-être jamais autant cherché Dieu, écrit-il. Pierre n'a sans doute jamais accueilli autant d'âmes à la ramasse, salopées, mendiant l'amour de Dieu et Sa présence. Mais sur ce chemin, combien se perdent ? »
Dans ce monde aride, chaque mot est précieux. Toujours sur la piste d'une littérature du réel, Pierre Adrian cerne à la fois les hommes et une terre, les âmes et un paysage qui s'entremêlent dans une histoire commune. Et le verbe de Pierre Adrian la restitue avec une incroyable vérité. Avec une écriture puissante, un style précis et acéré, une profondeur étonnante, l'auteur livre un texte éblouissant, plein des ténèbres du temps et de ses éclairs lumineux. Il décrit la disparition d'une voie de chemin de fer, le suicide d'un homme, les joies, les disputes, les cérémonies transformant chaque événement en petite épopée porteuse d'un sens universel.
Dans l'inévitable jeu des comparaisons, on pense à l'âpreté d'un Bernanos, à la clairvoyance d'un Pasolini. On peut aussi penser - même si le style est totalement différent - à Christian Bobin pour ce regard minutieux et spirituel sur les humbles et les petites choses. Mais peut-être, dans quelques années, comparera-t-on à Pierre Adrian les jeunes auteurs de livres dont la justesse n'interdit ni la lucidité, ni l'espérance.
Des âmes simples, de Pierre Adrian. Editions Equateurs. 176 pages. 18 €.