Le Vigan : "Moving on tradition" avec Qiong Zhao au château d'Assas
D'origine chinoise, Qiong Zhao fait dialoguer les traditions asiatiques et européenne avec une très belle exposition au château d'Assas au Vigan.
Entre Zhengzhou et Le Vigan, entre la Chine et les Cévennes, entre les pays, entre les continents, entre les civilisations... Le temps a beau se mesurer de façon universelle, il s’écoule différemment selon les cultures. À cheval entre sa Chine d’origine et l’Europe où elle est installée, Qiong Zhao passe d’une tradition à l’autre, les fait se rencontrer; non pour les opposer mais pour faire naître un dialogue fructueux, une reconfiguration plurielle du monde et des espaces mentaux. La très belle exposition personnelle que lui consacre le château d’Assas au Vigan, dans le Gard, est un voyage plein de douceur et de justesse, à la rencontre d’une œuvre à la fois sensible et critique, qui associe la virtuosité à l'ancienne et les pratiques contemporaines. Très loin des styles expressionnistes ou néo-pop des artistes chinois connus du marché de l'art...
Ancienne étudiante aux Beaux-arts de Nîmes, aujourd’hui doctorante à Bruxelles, Qiong Zhao jette un regard plein de curiosité sur le monde dans lequel elle vit désormais. Arrivée dans la capitale européenne, elle a été frappée par les manifestations permanentes devant le siège de la Commission. « Bruxelles, c'est ce carrefour de l'Europe où l'on rencontre à tout bout de champ des cultures et des identités d'origines différentes », dit-elle. Elle en livre une lecture étonnante avec son installation Un geste, métaphore des difficultés à faire vivre la démocratie malgré les identités multiples. Dans des assiettes toutes différentes symbolisant la place de chacun, elle pose des terres aux teintes variées d’où émergent des mains blanches en céramique, exprimant les positionnements de chacun.
L’art au XXe siècle a été une succession d’avant-gardes et de révolutions. Mais que pèsent-elles face à l’héritage plurimillénaire qui continue d’irriguer au quotidien la culture chinoise ? L'aujourd'hui n'est qu'une étape... Dans la vidéo Une goutte, Qiong Zhao fait tomber des gouttes d’encre de Chine dans de l’huile, symbole de la grande peinture occidentale. Hypnotique, ce mélange entre la fluidité et l’inertie des deux matières crée des images qui se forment, se diluent, amorcent des recompositions permanentes, dessinent un nouveau monde à la fois simple et mystérieux, fait de paysages brumeux et de compositions abstraites.
Cette alchimie est un peu un résumé de l’art de Qiong Zhao, sans cesse à la recherche de cette dialectique créatrice qui donne notamment naissance aux étonnants China’s Baby. Avec un style toute en délicatesse et une facture éblouissante, elle peint des bébés, petits putti dodus dans des gammes éthérées. Les nourrissons portent sur le corps et sur le crâne les motifs bleu cobalt des anciennes céramiques chinoises connues en Europe depuis les premiers échanges commerciaux avec la Chine, ils flottent dans un univers nuageux où viennent se glisser quelques éléments de la culture mainstream occidentale, Père Noël, marques de luxe ou figures de dessins animés. Toujours au croisement de l’art traditionnel et de l’art contemporain, elle interroge le regard de l’un sur l’autre, les références de chacun, mais sans jamais prendre de position affirmative, sans timidité mais avec attention et respect pour ce qui forge les identités.
Dans cet exercice, l’installation Croquer est un hommage curieux à la Chine. Qiong Zhao s’amuse avec une habitude de ses compatriotes. « La technique chinoise pour briser la cosse des graines de tournesol et les dépiauter dans la bouche sans se servir des mains est la plus avancée et la plus développée au monde ! », explique-t-elle. Elle filme en gros plan ce geste simple mais qui témoigne en même temps d’une transmission à travers les générations, pour l’opposer à la rapidité du présent et présente ces vidéos encadrant un cube de cosses de tournesols, savamment composé pour garder une impression de fraîcheur, très arte povera dans l'aspect premier. Le motif du tournesol avait déjà été utilisé par un autre chinois, Ai Weiwei, qui avait présenté à la Tate Modern à Londres une gigantesque installation sensorielle faite de graines de tournesols en céramique sur laquelle les visiteurs étaient invités à marcher.
Ce rapport différent au temps implique aussi un autre regard sur le vrai et le faux, à la question de l’original. En Asie, la copie est une culture en soi. Le geste des copistes y est respecté et reconnu comme un artisanat en soi. Sur un carnet en feuilles de papier de riz, quadrillées de lignes rouges verticales pour y tracer des idéogrammes, Qiong Zhao reproduit avec une exactitude méticuleuse des chefs-d’œuvre de l’art occidental qui l’ont marquée, dessins de Picasso, gravures d’Hollbein ou de Dürer créant une espèce de nouvel alphabet formel, lien intemporel entre les continents.
Elle va encore plus loin avec ses Vieilles Nouvelles, où elle détourne les antiques carapaces de tortues gravées pour tromper le regard. Avec un long procédé, elle fait vieillir les carapaces, bouillies dix heures, avant de passer trois jours dans le vinaigre. Puis en utilisant un alphabet ancien aux caractères imititatifs, vieux de 5 000 ans et transmis par son père archéologue, elle y inscrit quelques phrases. Dans le temps, face au papier fragile et éphémère, ces carapaces étaient utilisées pour noter des nouvelles importantes. Avec de petits signes, elle y consigne le présent, slogans commerciaux et phrases bébêtes façon statuts sur les réseaux sociaux. Un peu à la façon de Warhol, ironique sans être véritablement politique, elle fait la chronique de son temps, remplaçant l’extraordinaire par le quotidien. « Le faux équivaut au vrai lorsque la réalité est imitée : le doute s’insinue, nous manquons de confiance et nos repères sont perdus », explique l’artiste qui pose ainsi une question fondamentale : « Comment apprécier à sa juste valeur une culture étrangère ? »
Jusqu'au 19 mai 2017. Château d'Assas, 11 rue des Barris, Le Vigan. Entrée libre. 04 99 64 26 62.