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Les voix de l'exil par Maryam Madjidi


Avec "Marx et la Poupée", Maryam Madjidi évoque son exil dans un récit autobiographique au ton très singulier.

« On n’habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c’est cela et rien d’autre », disait Emil Cioran, écrivain d'origine roumaine qui avait fait du français son arme pour une philosophie incisive. Maryam Madjidi est aussi une exilée. Dans Marx et la Poupée, primée par le Goncourt du premier roman, l'écrivain, née en Iran, raconte ce parcours avec un ton singulier. Mélangeant les registres, les souvenirs et les contes, passant de la première à la troisième personne, se délivrant de la chronologie, elle livre un récit autobiographique et universel autour de son conflit intérieur, des trois naissances qui ont rythmé sa vie jusqu'à l'acceptation de sa double identité.

Le livre commence dans le ventre de sa mère révolutionnaire, puis son enfance dans l'Iran qui vient de basculer dans l'islamisme. La langage est déjà essentiel, le persan que parle sa famille, mais aussi la vulgate marxiste que ses parents lisent dans les livres et qui voyage dans les couches de la gamine sous forme de tracts. Quand ses parents quittent l'Iran pour la France, enterrant leurs rêves dans le jardin, débute chez elle un dédoublement. Il faut manger des croissants et du camembert puant, mais aussi continuer à parler le persan en famille, apprendre le français de son pays d'adoption. Maryam est mutique, elle refuse de parler le temps de se déshabiller de sa langue maternelle et d'accoucher de cette nouvelle langue qu'elle porte en elle.

Autour d'elle, les regards la maintiennent à distance, dans un certain exotisme. Maryam Madjidi en joue à l'âge adulte, draguant en citant les quatrains d'Omar Kayyam. Mais le conflit est toujours là chez la jeune femme. Le français lui murmure : « Je ne suis pas la langue de ta mère, je suis ta mère dans la langue ». Le farsi conteste : « Si tu m'oublies, tu t'oublieras ». Tout exilé est certainement condamné à se débattre dans ce dédoublement, mais Maryam Madjidi est écrivain et la langue est à la fois son outil et son propos. Elle a un sens de l'observation, aiguisé dès son plus jeune âge avec sa mère dans les jardins d'enfants, où les deux femmes se tiennent à l'écart par peur d'ouvrir la bouche. La langue peut être une prison, elle peut aussi être le chemin vers l'émancipation. Pas seulement l'intégration forcée, mais la pleine affirmation de soi.

Par le recul qu'elle porte sur son expérience, sur les petits événements même anecdotiques, Maryam Madjidi pointe, avec un mélange d'humour, de colère et d'émotion, les contradictions d'une société. Elle montre comment dans l'exil, l'étranger adopte un nouveau pays mais aussi comment un pays doit, ou plutôt devrait adopter l'exilé. Il suffit de regarder ce qui se passe aujourd'hui avec les vagues migratoires en Europe pour mesurer la justesse de cette analyse.

Finalement, il lui faudra s'éloigner de Paris et de Téhéran plusieurs années pour que Maryam Madjidi, libérée, se sente appartenir au français et sente que le français lui appartient. Cette langue qu'elle enseigne aujourd'hui aux étrangers, cette langue que l'on dit de Molière, mais qui est aussi celle de Romain Gary, d'Eugène Ionesco et de Milan Kundera.

Marx et la Poupée. Editions Le Nouvel Attila. 208 pages. 18 €.

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