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Arles : avec Ernest Pignon-Ernest, sur les traces des poètes


"Ceux de la poésie vécue", un beau livre d'Ernest Pignon-Ernest et André Velter chez Actes sud et une exposition incontournable à voir au Méjan à Arles jusqu'au 4 juin.

« Pour ceux qu'exaspère l'ordre meurtrier du monde, la poésie est question d'engagement existentiel », écrit André Velter en ouverture de Ceux de la poésie vécue, qui paraît chez Actes Sud autour des oeuvres du peintre Ernest Pignon-Ernest. Puis, comme un résumé de l'art du plasticien : « Elle dit le réel, mais en le révélant plus vaste, et d'une prodigieuse intensité ».

Pour Ernest Pignon-Ernest, la poésie est une compagne de tous les jours. Parallèlement au livre, la chapelle du Méjan à Arles présente une vaste exposition de son travail, belle et passionnante. Dans une société de l’image instantanée, Ernest Pignon-Ernest redonne par son art tout son pouvoir à la littérature. Comme le dit le titre du livre, la poésie c'est la vie et la vie c'est la poésie.

Pionnier de l’art urbain, Ernest Pignon-Ernest a été l’un des premiers à construire sa démarche autour du collage dans la rue, pour des actions qui relèvent à la fois de la poétique et de la politique. L’exposition permet de redécouvrir quelques projets fondateurs, le parcours Rimbaud en 1978 où il colle l’image du poète entre sa ville natale de Charleville-Mézières et Paris. A la même époque, Ernest Pignon-Ernest brave la dictature de Pinochet en affichant des portraits de Pablo Neruda dans les rues de Santiago du Chili, et notamment sur la propre maison du poète.

Les images dégagent une puissance rare, qui dépasse le simple impact esthétique, la seule virtuosité des dessins au fusain et à la pierre noire. Le travail d’Ernest Pignon-Ernest embrasse un temps long. Avant tout, il s’imprègne de l’œuvre du poète, de sa vie, il cherche l’image qui va pouvoir l’incarner, il la travaille et la retravaille longuement pour ne pas seulement peindre un portrait mais raconter une histoire. Rimbaud est un poète vagabond le sac sur l’épaule, Neruda porte la tenue des améridiens... Il cherche ensuite les lieux dans lesquels les images vont résonner avec intensité. Les œuvres sont sérigraphiées sur des chutes de rotatives. Collées dans l’espace public, elles vont se mélanger aux murs de la ville, aux murmures des passants, elles vont se dissoudre dans la rouille des hangars et les crépis des immeubles. Puis Ernest Pignon-Ernest photographie ces images in situ, pour en transmettre la mémoire qui sera dispersée à travers le monde. Il y a quelques semaines, invité sur le plateau de La Grande Librairie sur France 5, le présentateur demandait à l'artiste de faire le portrait en quelques minutes de la romancière turque Asli Erdogan. Cette rapidité est infiniment éloignée de l'art de Pignon-Ernest, qui privilégie l'imprégnation à l'instantané.

C’est toute cette durée, cette patience, ces rencontres, ces lectures, ces voyages qui viennent s’incarner dans les centièmes de seconde de la prise de vue finale. Par la cohabitation entre les nombreuses esquisses, les dessins, les photos, l’exposition du Méjan permet de mesurer l’ampleur de cette recherche jusqu’aux lieux où elles vont s’inscrire dans une histoire, une mythologie... Le cœur de l’œuvre d’Ernest Pignon-Ernest n’est finalement pas ce qu’on en voit, mais ce moment éphémère (et rendu rapidement inaccessible) d’une rencontre entre une image et son environnement géographique, humain, politique, social, littéraire... Il colle l’image de Gérard de Nerval près de l’endroit où il s’est suicidé, celle de Robert Desnos dans la rue de Rivoli où son héroïne Louise Lame se déshabille, le visage fou d’Antonin Artaud à l’hôpital d’Ivry où il a fini sa vie. Tout ce qu’on voit aujourd’hui n’est que la préparation et la trace de cet événement où apparaît une oeuvre vouée à la disparition.

Au coeur de l'exposition, le Méjan consacre un vaste espace à trois des projets parmi les plus spectaculaires d’Ernest Pignon-Ernest. Son évocation de Jean Genet montre comment l’image se construit peu à peu. Fin connaisseur de l’histoire de l’art, nourri notamment par la dramaturgie du Caravage auquel il a rendu hommage dans les rues de Naples, Ernest Pignon-Ernest détourne l’image de la déposition du Christ pour évoquer celui que Sartre avait baptisé « Saint Genet ». En écho à sa Querelle de Brest, les images sont ensuite dispersées sur les docks de la ville bretonne.

Récemment, il s’est à nouveau intéressé à la figure incandescente, intransigeante et visionnaire de Pier Paolo Pasolini. Martyr de la société de son temps, il est transformé en étrange pietà, portant dans les bras son propre cadavre supplicié. Puis l’image est accrochée à Matera où il a tourné L’Evangile selon Saint-Mathieu, sur la plage d’Ostie où il a été assassiné, dans le quartier de Trastevere à Rome qu’il fréquentait ou dans l’effrayante cité de Scampia à Naples, ces immeubles en ruine où prospère la mafia, ces effrayantes ruines modernes visibles notamment dans le film Gomorra.

En Palestine, c’est la figure du poète Mahmoud Darwich qu’Ernest Pignon-Ernest accroche sur le mur de séparation à Ramallah, à Bethléem ou sur les maisons bombardées à Gaza, opposant toujours la beauté et la poésie à la violence.

Dans le livre incontournable qui vient de paraître chez Actes Sud, les textes d'André Velter viennent épouser les images avec un bonheur incessant. Comme Ernest Pignon-Ernest qui saisit d'un trait net et foudroyant le regard de Baudelaire, les rides vagabondes de Cendrars ou les tourments d'Artaud, André Velter brosse en quelques feuilles des portraits qui vont droit au but, des textes justes, précis et poétiques. Comme après la lecture d'un recueil, on a envie, dès la lecture achevée, de revenir en arrière, d'ouvrir le livre au hasard, de picorer et de déguster.

Nerval « se débattait dans un univers trop étroit » et « entendait, sans souci des dangers et des dommages, changer la vie en rêverie éveillée ». Maïakovski, « père monumental » mort « d'une septicémie due à une piqûre d'aiguille », est « un personnage de rustre inspiré, de bûcheron qui élague et traverse à grands pas les convenances et les fourrées littéraires ». Antonin Artaud, « grand foudroyé de la société, vecteur du cri désarticulé et de la prophétie en forme d'implacable blasphème ». Robert Desnos est « celui qui a placé une étoile de mer au fronton de sa ville, puis une sirène sur les rives de Paris ». Le poète turc Nâzim Hikmet « donnait à l'épopée le goût du pain et aux chansons d'amour des accents d'incendie, d'alarme, de ferveur étoilée ». Pier Paolo Pasolini est « ce mécréant, athée explicite, qui pleure la fin du paganisme, et octroie à son calvaire des allures de martyre chrétien (...). Il est cet hédoniste, volontiers crapuleux, qui glorifie l'ascèse. Il est cet instinctif qui prédit la tyrannie, d'abord mesquine et fade, puis triomphante et féroce, de la marchandise ». Et Mahmoud Darwich incarne « cette figure de Palestinien universel dont les épopées, les élégies, les méditations et les célébrations amoureuses semblent appartenir à chacun ». Car la poésie, comme les mots d'André Velter et les peintures d'Ernest Pignon-Ernest « ne cessent d'affirmer qu'envers et contre tout / il est possible, ici et maintenant, de tenir parole / de ne pas baisser la garde, ne ne pas être indigne / de ses désirs, de ses utopies, ni de ses combats ».

Informations pratiques

Ceux de la poésie vécue, éditions Actes sud. 202 pages. 35 €.

Exposition jusqu'au dimanche 4 juin. Mercredi au dimanche, de 14 h à 18 h. Chapelle du Méjan, place Massillon, Arles. 5 €, gratuit - 12 ans. 04 90 49 56 78.

Pour aller plus loin

Le site internet d'Ernest Pignon-Ernest.

Ernest Pignon-Ernest sur le site de la galerie Lelong.

Ernest Pignon-Ernest et André Velter, invités de La Grande Librairie, France 5 :

Ernest Pignon-Ernest interviewé par Laure Adler, L'Heure Bleu, France Inter :

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