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Le Vigan : les ruines enfantines de Marie Havel au château d'Assas


La jeune artiste Marie Havel s'empare de l'univers de son enfance, marqué par les traces de la Grande guerre, pour une autonarration contemporaine.

Marie Havel a grandi dans l’Aisne en Picardie. Quand elle était enfant, les sorties scolaires tournaient autour du chemin des Dames et des monuments aux morts des villages meurtris par la Grande Guerre. Et quand elle jouait en forêt, les trous d’obus étaient des refuges naturels pour construire des cabanes. Arrivée à Montpellier, elle s’est emparée de cette mémoire marquante pour la mettre à distance avec les outils et les idées de sa génération.

Son exposition monographique au Château d’Assas au Vigan est une variation autour de l’histoire et du jeu, « qui permet un entre-deux, une tension. C’est une façon de s’interroger à la limite du drame ». Née en 1990, diplômé des Beaux-arts de Montpellier, Marie Havel a été rapidement repérée pour ses talents de dessinatrice. Une pratique qui remonte à l’enfance : « Je passais des heures dans des cabanes à recopier les plus fidèlement possible mes bandes dessinées ». En 2016, elle est lauréate de la bourse de la jeune création du Drawing room de Montpellier. Au printemps dernier, elle a reçu à l’unanimité le prix du salon DDessin à Paris, l’un des événements pour les amateurs de dessin contemporain. Elle est représentée par la galerie Samira Cambie à Montpellier et par la H Gallery à Paris.

Dans l’histoire de l’art, l’univers des ruines est un thème ancien depuis l’époque où les artistes parcouraient l’Europe pour admirer les antiquités romaines. Cela a donné lieu aux visions fantasmées et romantiques d’Hubert Robert ou du Piranèse. Plus proche de nous, elles ont pris une dimension tragique avec Anselm Kiefer ou nostalgique avec les photographes du mouvement urbex. Marie Havel y rajoute un regard enfantin, teinté d’humour.

Dans la première salle, l’artiste essaie de saisir le moment de l’effondrement, ce point d’équilibre qui fait que la ruine prolonge le paysage dans un mouvement perpétuel. Au centre, elle installe Qui perd gagne, un bunker éventré comme ceux dans lesquels elle se cachait sur la côte d’Opale, forteresse imprenable qui prend l’allure d’un château de sable. Elle montre aussi un dessin de la série Jumanji, édifice précaire et en expansion, gagné par une végétation qui vient grignoter la construction humaine. Avec précision, son dessin est un véritable labyrinthe foisonnant de détails, une aventure en soi.

« Sans technique, un don n'est rien qu'une sale manie », chantait Brassens. Cette maîtrise virtuose du dessin se prolonge par une façon d’expérimenter ce geste avec d’autres matériaux, remettant sans cesse en question ce talent pour le pousser vers d'autres directions. Dans la série Le ravin du loup, elle utilise le flocage des modélistes pour saisir des « paysages usagés» , en l’occurrence une ancienne base de télécommunication des armées allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale. Les bâtiments sont ravagés par le passage du temps, mais une autre forme de vie éclôt et camoufle l’ancienne occupation humaine.

Autour de cette salle, à l’ambiance silencieuse et à la technique impressionnante, Marie Havel propose des échappées vers l’imaginaire ou la naïveté. Avec Hide and Seek, elle s’empare d’un jeu électronique, modifie le scénario pour le transformer en partie de cache-cache géante avec ses copains. Avec les Maison Clous, elle s’empare de photos urbaines, de lieux bientôt dépossédés de leur histoire, de ruines futures destinées à s'effacer pour laisser la place à une nouvelle ville. Grâce au ponçage, elle gomme les bâtiments promis à la disparition pour les métamorphoser en fantôme.

Les Trous d’obus, entre sculpture et maquettes, évoquent l’imaginaire de son enfance, créant des espaces de jeu, de rêverie, des petites histoires dans la grande. Elle n’hésite pas à transformer la vérité en fiction interactive, quand elle reprend les vieilles cartes postales des lieux symboliques de la Grande Guerre pour les transposer dans l’univers des jeux électroniques. Aucun ironie ou provocation dans son geste... Marie Havel s’empare d’un décor peu banal pour montrer le regard que peut avoir un siècle plus tard un enfant sur cet univers porteur d'une mémoire tragique, pour tisser une autonarration d’aujourd’hui qui sait mais qui s'échappe vers de nouveaux horizons

D'ailleurs Marie Havel n’ignore pas que les jeux peuvent être dangereux avec ses boules de pétanque en plomb ou ses petites éditions de la série Build and Smash, conçues comme des jeux de société au graphisme enfantin et qui sont en réalité des modes d’emploi pour créer de façon consciencieuse de jolies catastrophes...

Jusqu’au 17 septembre. Château d’Assas, 11 rue des Barris, Le Vigan. 04 99 64 26 62.

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