Alès : abstrait, cubiste et libre, Léopold Survage au musée PAB
Une rétrospective du peintre Léopold Survage, l'un des inventeurs de l'abstraction, au musée Pierre-André-Benoit d'Alès.
« Une grande injustice ». Selon Daniel Adabie, ancien conservateur au centre Pompidou, ancien directeur du Jeu de Paume, Léopold Survage n’occupe pas la place qu’il mérite dans l’histoire de l’art. Spécialiste de son œuvre, le commissaire a fréquenté l'artiste dans les dernières années de sa vie. Il présente une rétrospective consacrée à l’artiste au musée Pierre-André-Benoit à Alès, exposition pleine de surprises et de découvertes, une traversée de l’art de la première moitié du XXe siècle prenant quelques chemins de traverse.
Né en Russie en 1879, Léopold Stürzwage, qui deviendra plus tard Léopold Survage, découvre très tôt les avant-gardes grâce à la collection Chtchoukine, montrée récemment à la fondation Vuitton à Paris. L’exposition montre la plus ancienne de ses œuvres connues, un tableau représentant Moscou sous la neige en 1903. L’époque est agitée, tant au niveau artistique qu’en matière politique. Survage participe aux émeutes de 1905, puis quitte la Russie pour Paris, véritable capitale artistique de l’époque dont les quartiers de Montmartre et Montparnasse accueille Picasso, Foujita, Soutine, Modigliani et tous les artistes de l'école de Paris.
Dans ce bouillonnement, Survage, qui survit en devenant accordeur de piano pour la maison Pleyel, participe à l’éclosion de l’abstraction. A la veille de la Première Guerre mondiale, il se lance dans un projet révolutionnaire et qui restera hélas sans lendemain, les Rythmes colorés. Très fragiles, les encres sur papier sont rarement montrées. Le musée PAB accueille plusieurs feuilles de Survage qui avait « l’idée folle de faire un film en couleurs dont le seul sujet était la déformation des formes et des couleurs ».
Le projet, proposé à la Gaumont, ne verra pas le jour à cause de la guerre. Le MoMA à New York en montrera une version contestée à la fin des années 30 qui inspirera Walt Disney pour son fameux Fantasia. Bien qu’inabouti, le projet est révolutionnaire, positionnant Léopold Survage comme l’un des inventeurs du cinéma expérimental. Au même moment, Kandinsky renverse les usages de la peinture, Picabia se lance dans les aventures orphiques, Malevitch s'apprête à posé son carré noir sur un fond blanc. Et Léopold Survage, on l'a oublié, participe à cet ouragan de l'art et de la pensée.
De l’abstraction, l’artiste évolue ensuite vers le cubisme. Le mouvement évolue, s’émancipant des découvertes de Picasso et Braque. Aux côtés d'Albert Gleizes notamment, il se lance dans la création de la Section d'or, souhaitant élargir les conceptions des pères fondateurs. Nourri par les lumières du midi, Survage propose une relecture colorée et onirique du cubisme, développant une nouvelle approche de l’espace, livrant une peinture plus sensible et moins théorique, refusant les canons de l’avant-garde. « Nul avant Survage n’a su mettre dans une seule toile une ville entière avec l’intérieur de ses maisons », disait de lui son ami Guillaume Apollinaire. Survage peint notamment des paysages, peuple ses toiles de silhouettes symboliques, grave L’Arbre pour le Bauhaus en 1922.
Mais Survage refuse une carrière linéaire, un parcours tout tracé. Il déconcerte le public avec des œuvres marquant un retour à l’ordre, puis à partir de 1925, découvrant Collioure, se lance dans une nouvelle étape, librement figurative et où la présence humaine est essentielle. Les corps massifs prennent des positions sculpturales. Il évoque le monde qu’il découvre, les pêcheurs, les marchandes de poisson, un bouvier avec son taureau. Les compositions jouent avec les traits, les aplats, les transparences pour créer de la profondeur.
A partir des années 30, Survage travaille aussi des peintures à la caséine, une protéine de lait qui permet de conserver des couleurs très vives. Les oeuvres miniatures qu'il compose expliquent sans doute l'intérêt que portera l'éditeur d'art Pierre-André Benoit pour son travail. Avec L’univers et nous, dernière grande toile, datée de 1953, il montre son rapport spirituel au monde, son intérêt pour la théosophie.
Itinérante, l’exposition a déjà été présentée à Béziers. Elle voyagera bientôt en Belgique et à Nevers. L'étape alésienne se complète d’une évocation du livre dans la carrière de Survage, et notamment de ses collaborations avec Pierre-André-Benoit qu’il rencontre en 1946 grâce à Michel Seuphor. Ils travailleront régulièrement ensemble jusqu’à la mort de Survage en 1968, donnant naissance notamment au livre Imminence en 1967 où les textes de PAB sont accompagnés de dessins de Juan Miro, Pablo Picasso, Camille Bryen, Jean Hugo ou Léopold Survage.
Jusqu'au 15 octobre 2017. Tous les jours, de 14 h à 18 h. Musée Pierre-André-Benoit, rue de Brouzen, Rochebelle, Alès. 5 €, 2,50 €. 04 66 86 98 69.
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