Villeneuve-lès-Avignon : bienvenue dans le Taillandier-Land !
Plongée dans le monde captivant et délirant d'Yvon Taillandier à l'abbaye Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon.
Le terme est un peu galvaudé. Mais, pour une fois, il est juste : Yvon Taillandier est vraiment un artiste hors norme. Âgé de 91 ans, le peintre est un démiurge fantaisiste, créateur d’un monde foisonnant et délirant. Il est à l’honneur avec une exposition réjouissante à l’abbaye Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon dans le Gard, une présentation qui dépasse le cadre de la simple rétrospective. « C’est la première fois qu’on voit le travail de mon mari de cette manière, explique son épouse Françoise, en montrant le peintre, mais aussi l’homme ». Grâce à son ami Olivier Ortega, scénographe de l’exposition, le visiteur quitte le commun des mortels pour pénétrer dans un univers singulier et jouissif. Au cœur de la présentation, la reconstitution de son atelier est une plongée dans l’esprit d’un homme qui peint et dessine comme il respire.
Né en 1926, Yvon Taillandier a d’abord été critique d’art dans les années 50, notamment pour L’Œil ou Connaissance des arts. A cette époque, il fréquente le tout-Paris artistique et mûrit intérieurement l’œuvre à venir. « Quand il a commencé à peindre à 45 ans, il avait quelque chose en lui qui ne demandait qu’à éclore », explique son épouse. Et d’ailleurs, ce qui est très rare, il trouve immédiatement son style, mettant en scène tout un monde de couleurs et de formes, peuplé de personnages étranges, un monde clos enfermant des narrations à décrypter, des allusions à sa vie personnelle, à l’actualité ou à l’histoire de l’art. A part quelques autoportraits de jeunesse datant des années 40, l'oeuvre d'Yvon Taillandier est d'une remarquable unité, une recherche poussée jusqu'à son paroxysme, jamais son épuisement.
Son Taillandier-Land est peuplé de créatures énigmatiques, les capitipèdes, les perabecos, les altistes ou les centaures améliorés. A l’extérieur, vivent les Alterorbiens, vous et moi, avec lesquels les Taillandier-Landais souhaitent vivre en paix et avec le sourire. Au fronton de son atelier parisien était longtemps écrit : ambassade du Taillandier-Land. A partir de cette construction, le peintre tisse un ensemble de correspondances, part dans toutes les directions, à la fois poète et un peu savant fou.
Son œuvre évoque l’art brut, avec ses débordements et ses obsessions, même s’il est très loin de cette ignorance théorisée par Jean Dubuffet. Avec ses mélanges de textes et d’images, ses couleurs sorties du tubes, ses personnages figurés de façon très simple, ses histoires drôles, Yvon Taillandier devance la figuration libre de Robert Combas et Hervé Di Rosa, créant ce qu’il nomme figuration libératrice.
Il réfléchit beaucoup, écrit, dessine, mais quand Yvon Taillandier attaque une œuvre, tout ce travail de pensée est digéré pour une invitation enchanteresse au voyage. Chaque toile semble une œuvre en expansion, avec une idée qui se développe de façon spontanée pour envahir peu à peu tout l’espace. Les œuvres ne sont pas encadrées, elles s’organisent à l’intérieur d’un univers labyrinthique entièrement construit, un monde mythologique comme cartographié par l’artiste et où le ciel n’a aucune raison d’être systématiquement bleu.
Quelques thèmes reviennent régulièrement, notamment un enthousiasme à la Fernand Léger pour le progrès technique avec des avions, des voitures, des allusions au tunnel sous la Manche, au TGV ou au passage à l’an 2000. Si j’étais le TGV, j’irais beaucoup plus vite, écrit-il sur une toile consacrée à la Compagnie nationale des chemins de fer taillandier-landaise. Tous les personnages sont sans cesse en mouvement, déformés par la vitesse, recomposés dans des attitudes où se mélangent l’humour et l’absurde. Les êtres se transforment, évoluent, se développent comme pris dans un processus, dans un élan vital infernal.
Mais pour un artiste comme Yvon Taillandier, une toile ne saurait suffire. Le peintre aime bricoler, sortir du châssis gentiment posé sur le chevalet. Il construit des meubles, une bibliothèque à roulette, un placard à cuisine pour sa femme, un lutrin. Il assemble des cartons ramassés dans la rue, il peint sur tout ce qui lui passe sous la main, un rouleau de 25 mètres de long, un mannequin, des valises qui promènent autour du monde ses créations, les pots à crayon et la chaise de son atelier, des boîtes à fromage, des rouleaux de papier toilette ou de grandes bâches à découvrir en plein air dans les jardins de l’abbaye au fil d’une balade énergisante, euphorisante.
Jusqu’au 1er novembre 2017. Mardi au dimanche, 10 h-18 h, puis 10 h-13 h et 14 h-17 h en octobre. Abbaye Saint-André, rue Montée du Fort, Villeneuve-lès, Avignon. 7 €, 6 €, gratuit - 8 ans. 04 90 25 55 95.