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Uzès : la collection d'art brut d'Alain Bouillet à la galerie Deleuze-Rochetin


A Arpaillargues, près d'Uzès dans le Gard, la galerie Deleuze-Rochetin présente la collection d'art brut d'Alain Bouillet.

Un jour, découvrant les œuvres qui étaient accrochées chez Alain Bouillet, un ami lui avait donné un conseil avisé : « Tu devrais aller visiter la collection de Jean Dubuffet », qui était encore à Paris, avant de quitter la France pour le musée de Lausanne. Il s’était rendu chez l’artiste, au 137 rue de Sèvres à Paris, et était reparti, fasciné, avec un autre conseil : « Si vous aimez ça, allez en chercher, allez dans les campagnes, tapez aux portes, vous en trouverez. Ce n’est pas toujours passionnant, mais une fois sur cent, c’est merveilleux ».

Et depuis 40 ans, la passion pour l’art brut d’Alain Bouillet ne s’est jamais tarie. Jusqu’à la fin du mois de novembre, il présente une infime partie de sa collection à la galerie Deleuze-Rochetin, à Arpaillargues, près d’Uzès dans le Gard. Au fil du temps, il a rassemblé environ 1 400 pièces et 150 signatures. Avec Madeleine Lommel, il a travaillé à L’Aracine qui a donné naissance au musée de Villeneuve-d’Asq, dans le Nord.

Plus qu’une passion esthétique, c'est pour Alain Bouillet une éthique. Car collecter, plutôt que collectionner, de l’art brut relève d’abord du rapport humain. Selon la définition donnée par Jean Dubuffet, l’art brut rassemble des créateurs qui n’ont aucune culture artistique, n’ont appris aucune technique, ne montrent pas leur travail, ne souhaitent pas être reconnus. Alain Bouillet est d’ailleurs régulièrement confronté à la même question : « Comment m’avez-vous trouvé ? ».

Dans ces environnements où la parole est rare, il faut du temps, de l’écoute, de la patience, des silences pour que les créateurs acceptent de montrer leur travail. Alors le vendre... La première fois qu’Alain Bouillet a rencontré Joseph Vignes, près de Perpignan, il l’a écouté pendant des heures raconter l’histoire de sa famille, en buvant de la piquette dans un pot de yaourt, au milieu d’un appartement aux fenêtres masquées par des papiers journaux. Mais après une matinée de palabre, ils ont pris la pelle à neige, sont descendus à la cave découvrir les dessins que Joseph Vignes cachait sous un tas de charbon.

Alain Bouillet ne se sent pas propriétaire des œuvres. « Je suis sans doute le possédé. Elles sont en dépôt chez moi », dit-il, attaché surtout à les transmettre et à transmettre les individualités qu’elles enferment. C’est justement ce qui avait séduit Jean Dubuffet chez ces artistes, souvent aux frontières de la folie, qui développent une authenticité hors des normes et des habitudes, « du singe et du caméléon ».

Quand il a rencontré Yvonne Robert en Vendée, il a été séduit par un tableau représentant une poule, isolée dans une masse abstraite peinte sur un contreplaqué qui servait à fermer le clapier des lapins. Mais pour Yvonne, cette poule était une compagne quotidienne. « Comme souvent dans l’art brut, Elle n’est pas une représentation mais une transsubstantiation. Elle est encore vivante pour Yvonne ». Alors le contrat dépasse l’échange monétaire. Yvonne Robert peut toujours la voir, Alain Bouillet ne peut pas la vendre. Et puis Yvonne Robert lui a posé la question importante : « Tu sais ce que ça mange une poule ? ». Alors le tableau est présenté avec un petit godet de blé. « On est dans le registre de l’affectif », explique le spécialiste de l’art brut qui connaît l’histoire intime de chaque pièce. Formidable conteur, il les partage pendant toute la durée de l’exposition lors de visites guidées.

Quelques fils traversent toutes les œuvres. Une peur du vide qui conduit à saturer les toiles, une répétition qui permet d’opposer une sécurité face au chaos du monde, aucune recherche de progression, un côté foisonnant, obsessionnel témoignant d’un monde intérieur débordant...

Il faudrait raconter les histoires de tous les artistes rencontrés par Alain Bouillet. André Robillard est un cas à part. Reconnu et acheté par les collectionneurs, il a passé sa vie dans un hôpital psychiatrique, d'abord en tant que malade, puis en tant qu'ouvrier. Il est sorti d’une production autonome propre à l’art brut, mais il continue à faire des fusils bricolés avec des objets de récupération qu’il produit désormais sur commande.

Jules Godi a passé toutes les soirées de sa retraite, entre 18 heures et 2 heures du matin, a relié des points dictés par son pendule, puis à les mettre en couleur toujours en suivant les ordres du pendule. Quand, il avait fini une peinture, il signait Godi Jules, l’encadrait, puis la descendait à la cave, sous une couverture et ne la regardait plus jamais.

Après une conférence à Mazamet, l’une des personnes du public a conseillé à Alain Bouillet d’aller voir Henriette Zéphyr, que Dubuffet avait rencontré dans les années 60. Quand il arrive, il découvre une vieille dame de 87 ans, cheveux argents, qui lui lance : « Je vous attendais. Ils m’avaient dit que vous alliez venir ». Ils, ce sont les intraterrestres, qui vivent à l’intérieur de la terre, sont bien supérieurs aux humains qu’ils doivent rééduquer... Alors qu’elle avait 40 ans, ils l’ont réveillée pour lui demander de dessiner. Depuis, elle capte leurs énergies, lignes souples qu’elle met ensuite patiemment en couleur à la plume avec d’un trait à grande finesse.

Martha Grunenwaldt vivait à la frontière belge. La nuit, elle descendait voler des papiers à sa fille, puis dessinait avec les tronçons des crayons de couleurs de ses petits-enfants et lançait parfois ses dessins par la fenêtre. Un jour, des voisins sont venus apporter les feuilles à la fille Josine qui ignorait totalement la passion nocturne de sa mère, découvrant sous son matelas des liasses de dessins où apparaissent comme par multiplication des visages proliférants.

Jean Perdrizet bricolait des machines dont le but était de converser avec les morts. Puis les détruisait et adressait les calculs, les plans, les explications à la Nasa, qui répondait invariablement « in english please », au CNRS et au comité Nobel, dont il espérait la récompense suprême. Au fil des années, il a envoyé deux tonnes de papiers permettant de construire ses machines poétiques. La reconnaissance des prestigieux scientifiques n’est jamais arrivée... Elle est venue des admirateurs de l’art brut.

Jusqu'au 25 novembre. Du lundi au samedi, 9 h 30 à 12 h 30 et 14 h 30 à 18 h 30. Galerie Deleuze-Rochetin, route d'Uzès, D982, chemin du Moulin, Arpaillargues. 04 66 59 65 27.

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