Nîmes : les origines de Supports/Surfaces à Carré d'art
Carré d'art à Nîmes se penche sur la naissance de Supports/Surfaces entre 1966 et 1970.
Plus qu’un mouvement, Supports/Surfaces est avant tout un moment, une aventure qui sera éphémère, le groupe explosant rapidement, mais dans une déflagration qui essaimera pour longtemps. Le musée Carré d’art à Nîmes se plonge dans cette histoire, en en explorant les prémices. Le terme apparaît en 1970 à l’occasion d’une exposition au Musée d’art moderne de la ville de Paris. Mais depuis plusieurs années déjà, quelques artistes se sont engagés dans une réflexion tendant à déconstruire la peinture. Le contexte artistique est un peu oublié aujourd’hui, mais en ce mitan des années 60, la Seconde école de Paris règne en maître, pour le meilleur et pour le pire.
Spécialiste de Supports/Surfaces, Romain Mathieu, le commissaire de l’exposition, réunit environ 200 pièces et se penche sur les années 1966-1970, qui voient l’émergence d’une nouvelle génération bien décidée à en découdre. Au même moment, se développent l’arte povera en Italie, le land art de l’autre côté de l’Atlantique. En France aussi, en 1967, BMPT, Buren Mosset Parmentier Toroni, participent à ce dynamitage. L’époque est à l’agitation, à la remise en question. Cela concerne aussi bien les étudiants qui manifestent en mai 1968, que les artistes de Supports/Surfaces qui veulent sortir de la toile sagement et bourgeoisement tendue sur un châssis. Non pas pour abattre la peinture, dans cette période où certains proclament sa mort, mais pour la reconstruire... L’accrochage très dense évoque les expositions de l’époque. Hélas, la dispersion des cartels rend parfois peu lisible certaines salles.
Un premier mur montre la préhistoire de Supports/Surfaces. Car ces révolutionnaires sont passés par des écoles de Beaux-Arts qu'ils ne vont pas tarder à investir, livrant des premiers travaux très loin de ce que l’on peut imaginer. On voit notamment un hommage à Cézanne par Viallat qui montre déjà son intérêt pour la couleur.
Rapidement, tous s’émancipent. Avant BMPT, Michel Parmentier peint de larges bandes horizontales. Pierre Buraglio agrafe des morceaux de tissus. Au Canada, Daniel Dezeuze attaque physiquement la toile. Vincent Bioulès et le sculpteur Bernard Pagès s’intéressent à l’impact de la couleur. La déflagration est à l’œuvre...
Dès 1967, les démarches s’affirment. Daniel Dezeuze recouvre un châssis d’une feuille de plastique, réduisant la peinture à une absence. Le geste est important. André-Pierre Arnal ou Jean-Pierre Pincemin utilisent l’empreinte. Noël Dolla trempe des draps d’hôpitaux roulés dans la peinture et la laisse s’imprégner. « Comment ne rien voir pour donner à voir ? » résume l’artiste, qui s’amuse aujourd'hui : « J’ai attrapé des rides et les œuvres moins que moi ». Chez Claude Viallat, apparaît la forme qui deviendra récurrente, mais elle n’est pas encore répétitive.
Précisément cette question de la répétition est importante.
À l’inverse d’Andy Warhol qui utilise le papier peint pour reproduire la même image, les artistes de Supports/Surfaces restent des peintres, ils répètent du singulier, de l’unique. Dans les toiles de Viallat, les grands alignements commencent à apparaître. Louis Cane couvre une toile du tampon “Louis Cane, artiste peintre” que le commissaire fait voisiner avec les empreintes d’objets d’Arman. Dans un coin, Noël Dolla accroche ses toiles sur un étendoir. La ville de Nice est importante dans ce contexte, ville où se rencontrent les Nouveaux réalistes, le mouvement Fluxus et Supports/Surfaces. Les assemblages du sculpteur Bernard Pagès montrent la relation à l’objet qu’entretiennent les artistes, avec ses mélanges de bois et de matériaux de récupération. Daniel Dezeuze peint sur des ganivelles, clôture en latte de bois, qui se déroule depuis le plafond. Patrick Saytour utilise la brûlure pour laisser sa trace sur un tissu imprimé.
Pour les artistes, cette nouvelle façon d’envisager le tableau s’accompagne aussi d’une nouvelle façon de les montrer. Une salle entière évoque l’expérience de Coaraze, village sur les hauteurs des Alpes-Maritimes où durant les années 70, les artistes montrent leurs œuvres en plein air, dans les rues, intégrant l’espace avec lequel elle dialogue. Daniel Dezeuze suspend des extensibles, Bernard Pagès plante un pieu de métal rouge dans un tas de paille, Vincent Bioulès pose contre les murs des bâtons de couleurs pures.
À partir du moment où le tableau est démonté, la cimaise perd aussi son sens. Les œuvres se déploient au-delà du mur. Les toiles pliées de Patrick Saytour sont clouées au mur, celles de Claude Viallat suspendues dans l’espace, les sculptures de Bernard Pagès envahissent l’environnement.
Loin du chevalet, le geste est au cœur du travail de la plupart des artistes, avec un intérêt certain pour une forme de primitivisme. Patrick Saytour se lance dans un jeu de tension avec des sangles et des baguettes de bois, dans une œuvre à la puissance et à la présence spectaculaires. Claude Viallat adopte le nœud et le tressage comme moyen d’expression. Bernard Pagès se lance dans des inventaires de fils de fer ou d’empreintes de grillage. Ainsi se réinvente, de façon buissonnière, une pratique picturale qui a définitivement remis en question la peinture, de façon intellectuelle, de façon politique, mais surtout, ce que montre cette exposition, de façon jubilatoire.
Jusqu’au 31 décembre. Mardi au dimanche, 10 h-18 h. Visite commentée samedi et dimanche, 16 h 30. Carré d’art, place de la Maison Carrée, Nîmes. 5 €, 3,70 €. 04 66 76 35 70.
Plusieurs des artistes présentés dans l'exposition sont présentés par des galeries du Sud de la France :
Philippe Pannetier, galerie From point to point, 4 place de la Calade à Nîmes
Adoue de Nabias, 3ter rue de la Violette à Nîmes
Clémence Boisanté, 10 boulevard Ledru-Rollin à Montpellier.
A l'occasion de la visite de presse de l'exposition, plusieurs des fondateurs de Supports/Surfaces étaient présents à Carré d'art. Ci-dessous, les portraits de Daniel Dezeuze, Vincent Bioulès, Noël Dolla et André-Pierre Arnal.
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