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Avignon : Les Eclaireurs, les visages de l'Afrique de la collection Blachère

Installée à Apt, en Vaucluse, la fondation Blachère présente une partie de sa collection d'art contemporain africain au Palais des Papes et dans les musées d'Avignon.

L'histoire de la collection Blachère est celle d’une renaissance. C’est peut-être pour cela qu’elle est aussi vivante... Il y a quelques années, l’homme d’affaires, leader des illuminations festives, a eu un accident. Cloué sur un fauteuil roulant, il a trouvé un nouveau souffle en voyageant Afrique. Un coup de foudre pour ce continent, un coup de cœur pour ses artistes. Au point de créer l’une des plus belles collections d’art contemporain africain, en partie montrée jusqu’au mois de janvier au Palais des Papes et dans plusieurs musées d’Avignon.

Sa fondation d'entreprise, installée à Apt en Vaucluse, organise régulièrement expositions et des résidences, dans le Lubéron mais aussi à La Somone, près de Dakar au Sénégal. Aujourd'hui, elle possède environ 2 000 œuvres. L’ensemble de sculptures présenté au Palais des Papes est monumental, un reflet passionnant d’une création sous les projecteurs depuis peu et pour laquelle Jean-Paul Blachère se passionne depuis longtemps, entretenant des relations suivies avec plusieurs artistes, notamment Ndary Lo, récemment disparu, dont La Prière universelle invite au dialogue entre les civilisations, les cultures et les spiritualités, les bras levés vers le ciel, en plein air sur le parvis du palais médiéval.

Les questions politiques sont au cœur des préoccupations des artistes africains, en prise avec des situations souvent dramatiques et violentes. Pour ses corps aux formes torturées, le Congolais Freddy Tsimba coule dans le bronze des douilles qu’il récupère sur des lieux de conflit. Pour sa vaste tapisserie de 14 mètres de long, La Zone des grands lacs, le Malien Abdoulaye Konate utilise aussi des douilles, qu’il coud avec des chiffons, dérisoires allégories de drapeaux, pour recréer un territoire marqué par les tragédies.

L’Anglo-Nigérian Yinka Shonibare Mbe met en scène un épisode des Voyages de Gulliver de Swift, la guerre entre les petits-boutistes qui pensent qu’il faut manger les œufs en commençant par le petit côté et les gros-boutistes qui pensent l’inverse. De part et d’autre d’un mur de coquilles, deux hommes s’affrontent dans une guerre sans merci, comme dans un monde où les conflits se perpétuent de façon absurde. Les deux nobles guerriers sans tête sont vêtus de wax, ce tissu qui symbolise aujourd’hui la mode africaine et qui pourtant est originaire des Pays-Bas, inspiré par des motifs asiatiques. Preuve que les frontières et les identités sont fragiles...

La nature et les préoccupations environnementales reviennent régulièrement. Avec sa Grande muraille verte, Ndary Lo évoque la désertification qui gagne au Sahel. Par son igloo et ses gorilles de lumière, Aimé Mpane rend hommage à Ota Benga, un Pygmée arraché à sa terre au XIXe siècle pour être exhibé en Occident et dont la forêt disparaît aujourd’hui, en même temps que les gorilles et les bonobos.

Quelques fils esthétiques traversent la collection. Hormis les œuvres du Sud-Africain Wim Botha, dont le vocabulaire contemporain se distingue avec son installation Solipsis ou avec ses sculptures de lions taillés à la tronçonneuse, les artistes africains sont en constant dialogue avec la tradition du continent noir. Certaines formes reviennent, issues des modes d’expression plus anciens, notamment les masques chez Rigobert Nimi, Siriky Ky, Jems Robert Kokobi ou les totems chez Nicolas Dalongeville ou Amahiguere Dolo.

La récupération est aussi un mode de création qui revient régulièrement. C’est notamment le cas avec le Ghanéen Emmanuel Kwame El Anatsui, l’une des stars de la scène africaine contemporaine qui vient d’être distingué par le Praemium Imperiale après avoir été l’un des premiers artistes africains accueilli et récompensé à la Biennale de Venise. Avec des bouchons de métal, il sublime ces déchets dérisoires pour créer des tapisseries à la préciosité et à la somptuosité étourdissantes. La pièce de la collection Blachère dessinant des fleuves se rejoignant est d'une beauté à couper le souffle.

Body’s Isek Kingelez utilisait des architectures en carton en regard de l’urbanisation galopante des métropoles africaines. Le Camerounais Joseph-Francis Sumegne est le maître de la récupération et des assemblages savants. Ses masques notamment fourmillent de détails pour un voyage entre la tradition et la modernité. Car les artistes africains traitent comme tous les créateurs de sujets qui transcendent les identités et les continents. Une sculpture de Gastineau Massamba dialogue avec les gargouilles du palais gothique. Et les “big mamas” taillées dans la serpentine par la Zimbabwéenne Colleen Madamombe, métaphores de la lutte pour l’émancipation des femmes africaines, rappellent les statues de Vierge à l’enfant omniprésentes dans toutes les églises du monde.

Parallèlement à cette présentation majestueuse au Palais des Papes, Les Eclaireurs se déploient dans toute la ville d'Avignon. Le musée Calvet accueille les guerriers Ousmane Sow, sans doute l'artiste africain le plus connu du grand public. Disparu l’an dernier, le sculpteur sénégalais était un grand humaniste. Dès la cour, le visiteur est accueilli par un grand guerrier masaï en bronze, bouclier en main, plein de noblesse et de dignité. L’art d’Ousmane Sow dégage une puissance rare. Ancien kinésithérapeute, premier artiste africain reçu à l’académie des Beaux-arts, Ousmane Sow s’est consacré à la sculpture la cinquantaine venue. Il donne forme à des hommes aux musculatures massives et précises, des corps en mouvement, toujours solidement ancrés dans le sol, en lien avec la terre.

A l’intérieur du musée, les créatures d’Ousmane Sow viennent réveiller les statues de marbre blanc. Deux petites sculptures en bronze La danseuse aux cheveux courts et Les scènes de mariage côtoient un imposant Lanceur zoulou, porteur d'une énergie étrange. Célébrant les cultures africaines, Ousmane Sow s’est intéressé aux représentants des grandes tribus. C’est dans ce travail au long cours que prend place cette figure à la matière étrange, mélange vivant de terre, de paille et de résine.

Dans la cour du musée du Petit Palais (qui abrite, rappelons-le, un ensemble méconnu et éblouissant des primitifs italiens de la collection Campana) prennent place les créations à la grave sobriété de Diagne Chanel, artiste d’origine sénégalaise qui travaille à la fois la peinture et la sculpture. Elle expose sa série de bronzes Une saison au Sud Soudan, inspirée les conflits ethniques qui meurtrissent la région.

Le parcours s'achève au musée Lapidaire avec Andries Botha. C’est l’une des stars de la collection et assurément, l’une des œuvres les plus appréciées par le public depuis le début de l'exposition Les Eclaireurs. Au milieu des pièces archéologiques, l’éléphant du Sud-Africain Andries Botha est bouleversant. L’artiste, très engagé pour la défense de l’environnement, représente l’animal blessé, allongé au sol à côté d’un tête d’homme, vide et tranchée, pour évoquer les relations entre la nature et l’être humain qui, en même temps qu'il détruit l'environnement, se détruit un peu lui-même.

Jusqu'au 14 janvier 2018. Palais des papes et son parvis, musée Calvet, musée du Petit Palais, musée Lapidaire, Avignon. 12 €, 10 € réduit. 04 32 74 32 74.

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