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Nîmes : d'une rive à l'autre de la Méditerranée au musée des Beaux-Arts


Le musée des Beaux-Arts de Nîmes se penche sur l'histoire de l'orientalisme et son prolongement après l'indépendance de l'Algérie.

L’orientalisme est une zone d’ombre de l’histoire de l’art. Peu montré. Peu étudié. Sans doute en raison des meurtrissures liées à l’histoire coloniale. Qui se souvient aujourd’hui de la villa Abd-El-Tif qui accueillait sur les hauteurs d'Alger la blanche, les jeunes artistes rêvant d’Orient sur le modèle de la villa Médicis à Rome ?

Le musée des Beaux-arts de Nîmes se penche sur cette longue histoire et son prolongement après l’indépendance de l'Algérie avec l’exposition “Des Orientalistes aux peintres algériens : la peinture en partage”. L’histoire des échanges artistiques entre les rives de la Méditerranée, entre l'Orient et l'Occident commence très tôt. On le voit déjà à Venise, mais aussi dans les tissus précieux des représentation de la Vierge à l’enfant dès la Renaissance. Mais le goût de l’Orient apparaît vraiment à partir des aventures napoléoniennes en Égypte et surtout après la conquête de l’Algérie en 1830.

La lecture des Mille et une nuits donne naissance à un Orient fantasmé, plein de sensualité, de parfums, d’un art de vivre qui s’incarne à merveille dans le harem. Alexandre Colin, l’un des fondateurs de l’école des Beaux-arts de Nîmes, peint ainsi une Sarah la baigneuse, illustrant un poème des Orientales de Victor Hugo. Elle bat d'un pied timide / L'onde humide / Où tremble un mouvant tableau / Fait rougir son pied d'albâtre / Et, folâtre / Rit de la fraîcheur de l'eau.

Nicolas Eustache Maurin montre une Vente des esclaves pleine des beautés lascives et offertes. Jules Salles copie Les femmes d’Alger de Delacroix, chef-d’œuvre de l’orientalisme qui marquera une génération entière.

Le rêve ne concerne pas seulement les corps. Antoine Louis Barye sculpte tout un bestiaire oriental observé... au jardin des plantes à Paris ! La conquête donne également naissance à des tableaux inspirés par l’histoire militaire, c’est notamment le cas d’Auguste Biard, peintre expéditionnaire qui représente dès 1833 une scène de bataille dans le désert.

Après la conquête coloniale, le cœur de l’orientalisme concernera le paysage. De nombreux artistes traversent la Méditerranée, à la recherche de couleurs vives, de lumières brûlantes, de nouvelles sensations. Ils peignent de petits tableaux qu’ils vendent aux touristes, comme des cartes postales destinées à décorer les intérieurs bourgeois des Européens. Fondateur de cette mode avec ses vues de gorges de la Chiffa, Eugène Fromentin est présent avec une Scène de marché oriental, inspirée par Delacroix, peinte sur une planche d’acajou typique des peintres de marine. La ressemblance avec les paysages provençaux peints à l’époque est frappante, même lumière écrasante, même présence minérale...

La passion pour l’Orient prend de multiples formes, notamment avec la figure de l’Abd-El-Kader, l'émir qui a résisté à la conquête coloniale et qui est représenté magnanime protecteur des Chrétiens dans des images d’Épinal. L’exposition présente aussi des photos et les carnets de l’émir durant sa captivité à Amboise.

Au XXe siècle, des affiches montrent cette Algérie conquise comme une terre généreuse, dans les classes pour éduquer les élèves à la grandeur de l'Empire ou dans de belles publicités pour vendre des traversées en bateau. Sur place, les peintres continuent à peindre les paysages que Maxime Noiré, puis Constant Louche présentent en version panoramique avec un succès phénoménal. Un Nu d’Émile Bernard, qui préférera par la suite Pont-Aven au soleil de l’Algérie, un autre nu de Paul Belmondo, père de Jean-Paul surtout connu pour ses sculptures et né près d'Alger en 1898, des portraits ethnographiques de Louis Granata, des visages d’Étienne Dinet qui se convertira à l’islam et deviendra Nasreddine Dinet, une scène de rue de Jeanne Thil ou la fontaine d’Henri Clamens montrent la variété des sujets traités par les orientalistes.

L’exposition se développe avec les peintres algériens de la génération 1930, ceux qui verront le pays accéder à l'indépendance. En 1930, la France fête de façon démonstrative le centenaire de la conquête et visiblement sans comprendre ce qui se prépare. Au même moment, s’ouvre l’école des Beaux-arts d’Alger, le Louvre dépose une partie de sa collection de l’autre côté de la Méditerranée bien avant Lens ou Abou Dhabi. Et les artistes algériens s’approprient la peinture de chevalet, malgré une attitude d’hostilité à l’égard de la colonisation.

Dans un style naïf très singulier, Baya, de son vrai nom Fatma Haddad, crée une œuvre colorée et foisonnante, peuplée de princesses, d’oiseaux, de poissons et d’instruments de musique. Son destin est incroyable, Baya a été exposée par la galerie Maeght, qui lui consacrera un numéro de Derrière le miroir préfacé par André Breton, elle sera ensuite invitée à Vallauris par Picasso pour travailler la céramique. Certaines de ses oeuvres étaient présentées en 2011 au centre Pompidou pour l'événement elle@centrepompidou qui revisitait les collections à travers le féminin.

Avec une grande froideur, M’hamed Issiakhem peint des corps humains, meurtris. Son histoire est dramatique. Enfant, il jouait avec une grenade qui a explosé, tuant sa sœur dans les bras de sa mère. Ses personnages sont comme des icônes, des vierges sans enfant.

Considéré comme l’un des fondateurs de la peinture contemporaine algérienne, Mohammed Khadda se situe aux lisières de l’abstraction, tout comme Salah Hioun, récemment disparu. La proximité avec les peintres de la Seconde école de Paris est étonnante, malgré l’éloignement géographique et politique de ces années de rupture. Preuve que d’une rive à l’autre, les artistes ont des choses à se dire...

Jusqu'au 18 février. Mardi au dimanche, 10 h-18 h. Fermé du 25 décembre au 2 janvier. Musée des Beaux-Arts, rue Cité-Foulc, Nîmes. 3 €. 04 66 76 71 82.

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