Piers Faccini, le troubadour et les berceuses
Artiste touche à tout, Piers Faccini est surtout connu en tant que chanteur folk. Mais il est aussi réalisateur, peintre, conteur, bricoleur... Installé en Cévennes, l'artiste voyageur publie un livre disque pour enfants chez Actes Sud. Dans La plus belle des berceuses, il raconte l'histoire d'un royaume où tout le monde passe son temps à dormir. Mais la tranquillité des lieux va être troublée par l'arrivée d'un petit prince insomniaque. Les chanteurs se relaient à son chevet pour essayer de résoudre le problème... Rencontre avec un créateur qui aime se balader hors des sentiers battus.
Photo copyright Olivier Metzger
Comment est née l'idée de ce livre ?
C'est Actes sud qui me l'a proposé. Ils connaissaient mon travail, savaient que je m'intéressais à l'art et aux chansons. J'ai écrit très vite l'histoire. J'ai des enfants qui ont 12 et 9 ans, ils ont passé l'âge de la classique histoire de soir. Mais c'est un rituel qui me tient à coeur, ce portail entre le monde conscient et le monde des rêves que les enfants traversent différemment des adultes.
Comment avez-vous travaillé pour vous adresser à des enfants ?
C'est assez naturel, ayant des enfants. J'ai passé des années à leur inventer des histoires. On avait des personnages qu'on avait créés ensemble et chaque soir, on développait l'histoire. C'est un bon exercice.
Pour la partie musicale, ce sont des chansons qui sont pour les enfants et les adultes. Ce sont avant tout des chansons très apaisantes, des berceuses avec une énergie, un rythme, une texture, un son, une lenteur. Ce sont des morceaux que les adultes pourront trouver nourrissants. La musique n'a pas d'âge.
L'histoire est clairement pour les enfants, avec un côté ludique, drôle. Pour endormir l'enfant, les chanteurs se succèdent, chantent dans plusieurs langues. Mais il y a toujours quelque chose qui ne va pas et l'enfant se réveille...
Chanter pour endormir, c'est un succès paradoxal pour un artiste...
Il y a cette mode des siestes musicales. Personnellement, ce n'est pas mon truc. Si on joue dans le but d'endormir, avec une musique somnifère, pourquoi pas ?
Quand on chante pour un enfant, c'est assez joli de l'observer, de voir qu'il adore et ne peut s'empêcher de s'endormir. Mais en concert, je joue pour partager, pour créer quelque chose dans l'écoute, pour créer ensemble avec le public une atmosphère de conscience.
Vous écrivez l'histoire, la racontez, composez les chansons, signez les illustrations... Cela vous plaît de maîtriser le projet de A à Z ?
Depuis des années, j'y ai pris goût artistiquement. J'ai monté mon propre label et comme beaucoup de petites entreprises, il faut doubler les tâches. Mais je ne suis pas seul. L'histoire a été écrite en anglais et merveilleusement bien traduite par Amélie Couture. Pour la partie musicale, il y a cinq berceuses, plus un instrumental et une piste avec le chant du rossignol. Pour les sonorités et les chants dans des langues différentes, il y a aussi des voix de femmes, Djene Kouyate pour la berceuse à l'ambiance africaine et Florence Comment qui chante en hindi. C'est quand même collaboratif...
Il y a quelques années, vous aviez exposé des tableaux au musée Pierre-André-Benoit à Alès. Quelle place tient aujourd'hui la peinture dans votre vie ?
Elle tient une place en retrait. Cela prend tellement de temps. Je peux écrire une chanson dans le train, dans une loge, dans une chambre d'hôtel. Pour la peinture, il faut une certaine monotonie, une sédentarité, un côté rituel, un rythme pas évident à trouver. C'est devenu quelque chose que je garde pour moi, pour le faire lentement et à mon rythme. Je n'ai pas de projet d'exposition.
Dans le livre, vous signez les images avec des papiers découpés...
C'est très différent, c'est un travail qui n'a rien à voir. C'est de l'illustration, c'est au service d'autre chose. La peinture est complètement libre, elle est elle-même complète. Quand je dessine avec les papiers découpés, c'est pour accompagner l'histoire, comme je le fais par exemple pour la couverture d'un album où le but est de le présenter le mieux possible. La peinture est au service de rien d'autre que les sensations qui me transportent à ce moment-là.
Les chansons voyageuses qui accompagnent l'histoire sont en écho avec votre dernier disque I dreamed an island ?
J'ai pris goût à chanter dans plusieurs langues. C'est presque comme si on changeait d'instruments. C'est devenu quelque chose qui me passionne et me distingue, par rapport à mes origines, au fait que j'ai beaucoup bougé. Cette possibilité était naturelle par rapport à l'histoire. C'est une forme de continuité très logique.
Vous reconnaissez-vous dans la figure du troubadour ?
Oui, si on arrive à s'extraire du cliché figé dans la période médiévale avec les clochettes sur les souliers... C'est une idée que l'on retrouve dans énormement de cultures, le griot, par exemple, c'est un troubadour qui chante et qui conte par rapport à ce qui est en train de se passer. Il a un rôle dans la société pour concrétiser des événements en musique. La chanson a toujours eu cette importance. C'est le côté transmission orale du chanteur folk, itinérant, nomade que j'aime énormément. Il rencontre d'autres chanteurs, ils échangent, se nouent des métissages... Les traditions musicales se sont construites sur ces rencontres avec cette figure du musicien itinérant, du troubadour qui ne respecte pas les frontières.