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Nîmes : derrière les murs des prisons au CACN


Pour attraper encore quelques détails vivants du dehors. Le Centre d'art contemporain de Nîmes réunit quatre plasticiens travaillant autour de la question des prisons.

« Assise à l’arrière du véhicule qui me conduisait à la maison d’arrêt de Versailles, je regardais fixement devant moi. Par moments, j’essayais de secouer cette inertie, jetant des regards obsessionnels à droite, à gauche, pour attraper encore quelques détails vivants du dehors ». Ce sont ces derniers mots, écrits par Vickie lors d’un atelier d’écriture à la prison de Marseille, que Bertrand Riou a choisi comme titre pour l’exposition collective qu’il présente au Centre d’art contemporain de Nîmes. Il y rassemble des artistes travaillant autour de l’univers carcéral, cette zone d’ombre de la République, réfléchissant aussi sur la place et l’histoire de l’enfermement dans nos sociétés.

Dans sa série Map with a view (Géométrie de l'enfermement), Laure Tixier s’empare des plans des prisons, certaines disparues comme la Petite Roquette, la célèbre Bastille à Paris ou Saint-Paul à Lyon, d’autres toujours en activité en France, mais aussi en Corée du Nord, en Inde ou aux Emirats. On devine l’ingéniosité des architectes pour soumettre les corps, notamment avec le panoptique, cette tour centrale qui permet de surveiller sans être vu, laissant flotter l’idée d’un regard permanent. Dans Surveiller et punir, Michel Foucault montre comment le pouvoir a utilisé cette pensée architecturale pour domestiquer les prisonniers avec cette véritable miniature d'une société disciplinaire. Jouant avec les codes de l’abstraction géométrique, Laure Tixier livre des sérigraphies précieuses et mystérieuses. Certains plans stylisés évoquent des objets futuristes, des cathédrales ou compositions minimales.

Paul Heintz travaille aussi autour de la mémoire des bâtiments. Avant sa destruction, il a photographié l’intérieur de la prison Charles III à Nancy, l’un des symboles du mouvement de révolte des années 70. Une mutinerie avait eu lieu sur place en 1972. Les photos des prisonniers manifestant sur le toit sont restées célèbres, elles résument aujourd'hui cette décennie d'agitation dans les prisons. À l’intérieur, Paul Heintz a photographié les traces de vie dans les décombres, les tags sur les murs, les objets abandonnés, les gravats, les herbes folles dans la cour de promenade, les posters affichés dans les cellules, les couloirs désertés. Il en a tiré un journal qu’il distribue depuis quatre ans, le temps qu’il a fallu pour détruire les lieux. Le stock s'épuise et c'est la dernière fois que l'artiste réactive cette pièce importante. Par cette dispersion, il maintient la mémoire des lieux, permettant aux visiteurs de repartir avec une portion de cet intérieur longtemps fermé aux regards extérieurs.

Grâce à son projet d’édition Correspondances coercitives, Sarah Kowalcewski fait sortir la voix d’une prisonnière basque. Engagée au sein du Genepi, association d’étudiants intervenant dans les prisons, elle a noué une longue relation avec une détenue, la visitant régulièrement puis entretenant avec elle une relation épistolaire. Le livre dévoile cette intimité. En le feuilletant, le visiteur se retrouve dans la position des gardiens ouvrant les courriers avant de les remettre aux détenus.

Nicolas Daubanes fréquente l’intérieur des prisons et les prisonniers, en France et en Espagne, engagé à leurs côtés depuis longtemps. Au CACN, il présente une impressionnante série de dessins à la poudre d’acier aimantée, « en référence aux barreaux et à la lime du prisonnier qui veut s’en évader » explique Bertrand Riou dans la présentation de l’exposition. L’artiste répertorie des lieux symboliques, historiques, les escaliers de la centrale d’Ensisheim où sont enfermés à perpétuité plusieurs détenus célèbres, l’ancienne porte de la prison Saint-Paul à Lyon ou une vue spectaculaire de la Petite Roquette à Paris, construite pour enfermé les mineurs, détruite aujourd’hui pour laisser la place à un square pour enfants, dans une étrange ironie de l’histoire. Les grands dessins anthracite semblent hors du temps, comme des éclats d’histoire qui viennent dialoguer avec un grand calepinage en couleurs. Nicolas Daubanes accroche au mur, comme un tableau abstrait, la reproduction du sol de la prison de Montluc à Lyon, carreaux de ciments ébréchés et foulés du pied pendant des décennies par des détenus. Mais la notion de délinquance est mouvante... La prison de Montluc est aussi un lieu hanté par l'histoire, transformé aujourd'hui en mémorial. Pendant la Seconde Guerre mondiale, c’est ici qu’ont transité Marc Bloch, Jean Moulin et les enfants d’Izieu.

Jusqu'au 24 mars. Mardi au samedi, 11 h-18 h. Visite guidée tous les samedis, 16 h. Centre d'art contemporain de Nîmes, 25 rue Saint-Rémy, Nîmes. Entrée libre.

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