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Ozvan Bottois : "la tauromachie permet permet de réfléchir sur la création artistique"

Qu'on aime ou qu'on aime pas la tauromachie, la corrida a influencé de nombreux artistes, écrivains, poète, musiciens, danseurs et bien sûr des peintres... De Goya à Barceló en passant par Picasso, la tauromachie tient une place majeure dans l'histoire de l'art. Et pas seulement en Espagne... Ozvan Bottois, historien de l'art, enseignant à l'université Paul Valéry à Montpellier a consacré sa thèse au sujet. Ses recherches se prolongent avec l'édition d'un beau livre, richement illustré chez Hazan, Tauromachie, de l'arène à la toile. Voici une interview recueillie à l'occasion d'une dédicace à Nîmes au printemps 2017.

Comment a été accueillie votre thèse dans le milieu universitaire ?

Je ne suis pas le mieux placé. Il y a peu de travaux sur ce sujet en histoire de l'art. J'ai peu de visibilité. Le président de mon jury n'est pas un pro-taurin, mais il a néanmoins apprécié le travail. Ce n'est pas un ouvrage tauromachique, mais sur la tauromachie.

Selon vous, d'où vient l'intérêt des artistes pour ce sujet ?

Je pense que c'est un sujet très particulier pour un artiste. Il y a la relation à l'animal, à la mort, à la création. Beaucoup d'artistes s'identifient au torero, c'est un modèle qui permet de réfléchir sur la création artistique.

Le sujet est particulièrement présent dans l'entre-deux-guerres. Comment l'expliquez-vous ?

C'est lié en grande partie aux événements politiques. Il y a une appropriation de la corrida par certaines idéologies. Et les pro-républicains ont sans doute besoin de ne pas laisser s'opérer cette récupération. La corrida n'est pas politique en soi, mais pour les artistes, c'est une façon de lutter politiquement.

Et puis, il y a la question de la mort, de la mise en danger de soi, de l'éthique. Ce contexte fait que les artistes ont recours à l'iconographique tauromachique.

C'est aussi une façon de s'attaquer à l'irreprésentable ?

C'est une gageure effectivement. Picasso dit que vouloir faire une corrida est presque impossible. C'est un défi pour l'artiste de vouloir s'y confronter. De plus, comme beaucoup se sont intéressé au sujet, cela permet de se mesurer avec les aînés, de dialoguer avec d'autres.

Dans votre livre, vous expliquez que Goya est le premier peintre moderne de la corrida. Pourquoi ?

D'un point de vue formel, il prend ses distances avec un style rococo, avec des figures aimables et artificielles. Il rompt avec cette façon de représenter la corrida. Et puis, il y a une dimension dramatique qu'il va insuffler à la corrida, une épure. Goya est intéressant car il enregistre, avec les représentations de corrida, les changements dont il a conscience. Il présente l'évolution de la corrida des origines à son époque. On voit un changement profond. Goya est un strict contemporain de la corrida moderne. Il y a aussi une dimension politique dans sa travail.

Vous montrez que fréquemment la représentation de la corrida est liée à la politique...

La corrida a une dimension politique, mais elle n'est pas que politique. Avec la question de l'homme, cela renvoie à une image de ses comportements.

Il faut être prudent, mais à la fin du XIXe siècle, représenter d'une certaine manière la corrida, c'est évoquer l'Espagne de l'époque, c'est-à-dire émettre un jugement ou la valoriser.

Le livre permet de comprendre l'importance de Picasso. Au fil de son oeuvre, il embrasse tous les aspects de la corrida.

On a l'impression qu'il explore la corrida dans tous ses aspects formels, symboliques... Cela montre l'importance du sujet pour lui, il y revient toute sa vie, comme Goya. La corrida tient une place très particulière. C'est un support formel, une manière de dire autre chose que la tauromachie.

La dimension érotique est très importante...

Les identifications sont multiples, parfois au toro, parfois au minotaure. Le toro est aussi une représentation du peuple espagnol. Tout cela est mobile, n'est pas figé. En fonction du contexte, il se projette ou pas. A la fin de sa vie, quand il est malade, il s'intéresse au torero et s'identifie à l'homme qui va affronter la mort.

Quelle est la place de la corrida dans l'art contemporain ?

Il y a un certain nombre d'artiste qui s'y intéressent, le sujet n'est pas abandonné. Il n'y a pas que Pilar Albarracín qui pose des questions pertinentes. J'aime beaucoup la façon dont elle évoque, par la poétique, la culture espagnole et toujours avec un côté grinçant et irrévérencieux. Elle joue avec les imaginaires associés à la corrida, dans une lecture assez nouvelle, connectée au monde contemporain.

Il y a également Miquel Barceló...

C'est très particulier, il l'aborde sous différents angles. Personnellement, je suis sensible à sa peinture épaisse, gestuelle qui a une puissance d'évocation assez forte. Son approche est presque philosophique. A travers la corrida, il évoque l'animalité, l'espace, la matérialité. On peut imaginer que c'est quelque chose qu'il ne va pas abandonner. Je crois qu'il travaille actuellement autour des écrits de Bergamín.

Selon vous, est-ce que la corrida est un art ?

Je ne réponds pas en tant qu'historien de l'art. Mais oui, je pense que cela relève de la pratique artistique, pour ce qu'elle met en jeu et pour la manière dont elle le fait. On parle de sacrifice, de cérémonie... C'est un débat compliqué à cerner, mais à mes yeux, c'est une pratique artistique.

Tauromachie, de l'arène à la toile, d'Ozvan Bottois. Editions Hazan. 336 pages. 59 €.


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