Aubais : une traversée contemporaine de L'Etranger de Camus
Dans le cadre des Quatre saisons de l'art à Aubais, dans le Gard, Christian Felter réunit neuf artistes autour de L'Etranger d'Albert Camus.
En écoutant une lecture de L’Etranger par Albert Camus lui-même, Christian Felter a été frappé par les mots « sans importance » qui ponctuent le récit, des mots apparemment anodins, mais qui résument, dans leur répétition, la théorie de l’absurde au cœur de l’œuvre. De là, est née l’idée d'une exposition présentée récemment à Montpellier et réactivée aujourd'hui à Aubais dans le cadre des Quatre saisons de l’art. « J'ai écouté deux ou trois fois le texte en voiture. Au départ, j’avais l’impression que cela revenait encore plus souvent. En réalité, il y a neuf occurrences », explique Christian Felter qui a extrait les passages du texte et les a confiés à neuf artistes pour une variation plastique autour de l'oeuvre d'Albert Camus, du texte de L’étranger et particulièrement de ces mots.
Une vidéo et l’enregistrement du texte par Camus accompagnent les œuvres, permettant de se replonger dans l’ambiance sèche du livre, grâce à l'accord de la maison d'édition Gallimard. Fumer une cigarette devant le cercueil de sa mère ? Sans importance. La serviette mouillée avec laquelle on s’essuie les mains ? Sans importance. Aimer ou ne pas aimer la femme qu’on épouse ? Sans importance. Un second coup de revolver ? Sans importance. Et Dieu ? Sans importance. Meursault est étranger à lui-même, aux autres et au monde...
Au milieu des salles voûtées du château, flotte sur des voiles transparents une évocation du meurtre de l’arabe, ce moment tragique qui va faire basculer la vie du héros. Marc Bouchacourt, marqué par la « charge émotionnelle du livre », présente également une série de toiles abstraites explosives, pleines de ce soleil qui éblouit le narrateur et inonde les pages.
Autour, sans suivre le récit de façon linéaire, les artistes évoquent à leur façon des moments, des sentiments, des situations... Il n'est pas question de reconstituer le roman, mais d'en proposer une relecture graphique et plastique, d'en saisir à la fois l'esprit et l'importance justement. A partir des photos célèbres d'Albert Camus noyées dans la peinture et la matière, Lucette Felter crée le trouble autour de son visage pour évoquer les volutes de cigarettes. Gilbert Casula évoque la vanité des ambitions avec des silhouettes de l’auteur, qui s’effacent, se diluent jusqu’à la dernière, noire sur fond noir.
Pour la rencontre avec le juge d’instruction, Bruno Roudil a été impressionné par les mots du narrateur « nous sommes tous les deux carrés dans nos fauteuils », un détail montrant qu’il ne comprend pas ce qui lui arrive. Bruno Roudil imagine une scène de théâtre, avec une affiche, une vue de face, puis en surplomb. Dans cette composition où se mélangent l’abstraction et la figuration, se distinguent un échiquier et un engrenage. Le duel et l'inexorable...
Les images numériques de Jean Coustaury dévoilent un monde insaisissable. Au lavoir du village, sur de grands dessins, Christiane Vialar présente la figure de la pauvre Marie, cette fille amoureuse du héros, mais qu’il néglige. Enfin, les couleurs méditerranéennes des toiles abstraites d’Henri Baviera viennent illuminer, ensoleiller cette fin tragique, celle d’un homme condamné d’avance par l’absurdité du monde.
Jusqu'au 1er avril. Samedi et dimanche, 15 h à 18 h 30. Et sur rendez-vous. Château et lavoir, Aubais. Entrée libre. 06 62 01 55 78.