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Arles : les méditations de Kim Tschang-Yeul au Méjan


Exposition magique du maître coréen Kim Tschang-Yeul à la chapelle du Méjan à Arles et livre sublime chez Actes sud.

Avec un simple motif, la goutte d'eau, l’artiste coréen Kim Tschang-Yeul dessine tout un monde, saisit dans ses tableaux tout le cosmos. Exposé partout dans le monde, le peintre est à l’affiche à la chapelle du Méjan à Arles. L'accrochage accompagne la publication par Actes Sud d'un livre sublime, avec un texte passionnant de Michel Enrici, spécialiste de son oeuvre, de la scène coréenne et pilote du projet de fondation Lee Ufan à Arles et un entretien avec l'artiste, également dirigé par Michel Enrici.

À ses débuts, Kim Tschang-Yeul était inspiré par la peinture américaine des années 60, l’abstraction triomphante, les couleurs pop. Les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale puis de la guerre de Corée pèsent énormément dans ses premières années.

Un jour à Paris, au début des années 70, en se lavant, il a mouillé l'un de ses tableaux. Ce fut un choc définitif. « Je m'étais alors lavé le visage et j'avais aspergé de gouttes d'eau le dos des toiles qui étaient posées un peu n'importe comment dans l'atelier, se souvient l'artiste, dans l'entretien au coeur du livre. Et là, j'ai été très étonné et ému par la vue de ces gouttes d'eau au dos de mes toiles, qui brillaient dans la lumière du matin. En philosophie orientale, on parlerait de 'vide plein', ces petites choses vides, transparentes et sans odeur, qui vont disparaître bientôt, mais avec une petite lumière, qui donne de la beauté et de la clarté. » Tout est une question de regard...

Fidèle à la spiritualité taoïste, il s’est emparé de ce sujet qui venait à lui et ne l’a plus quitté. « J’ai vécu avec le sérieux de quelqu’un qui aurait attrapé la queue d’un tigre. Une fois qu’on a attrapé la queue d’un tigre, on ne peut plus la lâcher, il faut le suivre jusqu’au bout, sous peine de se faire dévorer. J’ai l’impression d’avoir vécu toute ma vie de cette manière », explique Kim Tschang-Yeul, bientôt 90 ans et à la tête d’une œuvre magistrale.

Michel Enrici explique de façon lumineuse l'art du peintre coréen. « A partir de 1973, explique-t-il, le système pictural est en place, formidablement dynamique et fécond. Dans un processus dont les variantes sont infinies, Kim Tschang-Yeul retrouve la Voie qui, pour être unique, n'en est pas moins jonchée des surprises de la différence et, pour être inframince, ouvre à des mondes surprenants. Dans (...) "Différence et répétition", Gilles Deleuze laisse entendre que, dans l'art, le moment de l'invention, le moment de la création est déjà et d'abord une répétition. Trouver la voie, concept si fort pour le taoïsme, est un événement qui advient par un phénomène de reconnaissance. Trouver la voie encore, ce but absolu dans la recherche de la sagesse et l'organisation de sa propre permanence, sera pour Kim Tschang-Yeul un moment de vécu de solitude dans la nuit de l'atelier, ouvert avec les clés de quelques gestes bricolés. Ici la contingence propose le sens à qui sait le juger, le voir et le reconnaître. »

La peinture de Maître Kim est une méditation, magique et apaisante. L'artiste joue sur l’espace et la matière, la transparence et le relief, la profondeur et la fragilité, l’ombre et la lumière. À la surface de chaque toile, Kim Tschang-Yeul saisit de petits éclats qui abritent en eux-mêmes toute la beauté du monde, des univers miniatures où entrent en contact le microcosme et le macrocosme. Sa palette, sa touche sont d’une infinie délicatesse. Des calligraphies semblent tissées dans la trame même de la toile. À la bonne distance, l’œil du visiteur a l’impression que la goutte d’eau s’écoule sur le papier, sur la toile. La vie est là, fragile et palpitante. Fascinante et bouleversante !

Mais ces propos pourraient laisser penser qu'il ne s'agit que d'un exercice de style. Pour Kim Tschang-Yeul, cette goutte d'eau est une façon de regarder les bouleversements du monde moderne, comme en témoignent les journaux sur lesquels il peint, sa fragilité, sa précarité, sa disparition. « Longtemps à la recherche du savoir des modernes, critique à propos de la qualité du lien entre l'art contemporain et le consumérisme, son oeuvre a été fécondée par des raisons spirituelles. Elle se place, grâce à la pratique de la représentation de la goutte d'eau, sur plusieurs frontières : l'éphémère, l'équilibre, la capillarité moléculaire, la métamorphose sont évoqués tour à tour. Ainsi, dans cette oeuvre, le fléau ne se stabilise jamais entre ce qui advient et ce qui est déjà là. Conduit par une méditation spirituelle, l'artiste greffe son oeuvre sur les forces et la complexité des lois de la nature. La goutte, mot que la langue coréenne entend comme un grelot, est une concrétion fragile qui dit tout à propos de notre passage sur la scène du vivant », explique Michel Enrici, qui conclut de façon bouleversante et philosophique. « Le charme de la vie n'a d'équivalent que sa fragilité. Et, selon que nous sommes dans la célébration de la vie ou dans l'inquiétude de la mort, nous célébrerons l'oeuvre de Kim Tschang-Yeul comme le moment d'un miracle ou nous l'accueillerons comme le versant d'un mirage. »

Jusqu’au 3 juin 2018. Mercredi au dimanche, 14 h-18 h. Chapelle du Méjan, place Massillon, Arles. 5 €. 04 90 49 56 78.

Catalogue Actes sud beaux arts Hors collection, 220 pages, 35 €.

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