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Colette Fellous et l'âme tourmentée de Camille Claudel


Colette Fellous livre un portrait sensible au ton très personnel de Camille Claudel.

Ce n'est pas un livre sur Camille Claudel que publie Colette Fellous chez Fayard, mais un livre pour Camille Claudel. Avec le ton singulier qui était le sien dans ses Carnets nomades sur France Culture, l'écrivaine évoque le parcours de cette artiste qui la fascine, pas avec une biographie, mais avec un portrait sensible, un tombeau bouleversant comme la douleur qui a détruit Camille Claudel. En feuilletant des archives, en observant les oeuvres, en puisant dans les parcours familiaux, en creusant sa relation avec sa mère impitoyable, son frère aux limites de la rupture, son amant Rodin, elle s'approche au plus près, tout en sachant qu'il y aura toujours quelque chose d'insaisissable. Derrière les beaux yeux bleus de Camille Claudel, il y a une âme tourmentée insondable. Alors il faut essayer de comprendre, d'expliquer, d'explorer les bribes de beauté et de folie qui demeurent.

Colette Fellous n'est pas historienne. C'est grâce à la puissance des mots et de la littérature qu'elle redonne vie à Camille Claudel, avec des mots brûlants. « L'histoire de Camille est devenue une légende, avec du vrai et beaucoup de faux, une histoire qui fascine même ceux qui n'en connaissent que des fragments. Elle est choquante, trop violente, ressemble à tout ce qui nous fait peur, à ce qui pourrait arriver à n'importe qui. Elle est un conte cruel, intolérable, un conte si contemporain : des Camille on en connaît tous quelques-unes mais elles resteront toujours anonymes, sacrifiées, perdues, elles ne traverseront jamais les siècles. »

Par fragments, Colette Fellous remonte le fil de l'histoire, essaie de comprendre les petits moments de déséquilibre, les promenades au bord du gouffre qui annoncent le désastre. Elle suit pas à pas Camille Claudel, brillante jeune fille promise à un avenir radieux, qui dérape peu à peu jusqu'à l'internement, l'incarcération, l'abandon. « C'est là le roman de la vie, tragique et magnifique. Par moments, elle éclaire nos propres vies, elle en exhibe les coutures, les frontières, les blessures, les dangers, les fragilités, les passions. Elle confirme que tout peut basculer très vite, et que nous ne sommes pas toujours les maîtres de notre vie ni de notre équilibre. Basculer, oui, c'est le bon mot, les corps qu'elle a sculptés ne montrent que ça : toujours penchés, toujours risqués, au bord de la chute ou de l'engloutissement, c'est leur puissance et leur beauté d'être en déséquilibre. »

Mais l'auteur va plus loin, elle ausculte l'histoire familiale, sonde les âmes, capte l'esprit des lieux où se joue le drame, montre comment une succession de deuils et de dérives au sein de la famille Claudel prépare ce terrain glissant. Elle évoque les douleurs nées de la relation passionnelle avec Rodin, un avortement, les petites lâchetés, les trahisons, les vexations. Par petites touches, elle explore les failles, toujours avec pudeur, toujours sur le fil. Colette Fellous n'est jamais affirmative, ne se fait pas accusatrice, tout en regardant avec justesse les comportements injustes, cruels, assez souvent incompréhensibles de ses proches. Internée en 1913, Camille Claudel est restée enfermée trente ans, d'abord en région parisienne puis à l'asile de Montdevergues, à Montfavet près d'Avignon. Durant ces décennies, elle se défend, implore qu'on vienne la sortir de là, elle écrit des lettres qui ne sortent pas de l'hôpital comme sa mère l'a ordonné, par peur du désordre. Pendant toute cette période et c'est surprenant, Camille Claudel n'en veut pas tellement à sa famille. Comme le montre Colette Fellous avec les extraits de sa correspondance, elle demande de l'aide, supplie sa famille, mais leur fait assez peu de reproches. Son délire paranoïaque à l'égard de la "bande à Rodin", en revanche, reste intact.

Camille Claudel meurt en 1943, de faim et de froid comme nombre de ses compagnons d'infortune pendant l'Occupation. « Paul lui aura rendu visite sept fois en trente ans. Sa dernière visite, un mois avant sa mort, date de septembre 1943. Ils ne s'étaient pas revus depuis le mois de juin 1930, mais Camille l'avait attendu, jour après jour. D'ici, ces faits paraissent monstrueux, mais il est impossible de prendre parti pour l'un ou pour l'autre, il est des situations familiales si inextricables, si empoisonnantes et si complexes qu'on ne peut se permettre un jugement moral. Le destin de Camille et de Paul Claudel, malgré ces grandes souffrances, reste grandiose. Et leurs oeuvres également. Ils auront tous les deux côtoyé les abîmes. »

Et effectivement les oeuvres permettent d'interpréter cette histoire, d'en observer les zones d'ombre, les éclats de lumière. L'ensemble se dérobe, mais les fragments suggèrent des pistes, murmurent des blessures, permettent de s'approcher de la vérité des coeurs. C'est ce que fait, avec grâce et sensibilité, Colette Fellous, avec ces pages pour Camille Claudel. « Une vie brisée sous nos yeux, qu'il est impossible de reconstituer intégralement, juste la possibilité de l'interpréter. Cependant, devant ses oeuvres, chacun devrait prendre le plaisir de déchiffrer ce rébus en y posant son propre regard et sa propre mémoire. J'ai longtemps cru que je n'arriverais pas à la rejoindre ni à la regarder avec tendresse tant elle me faisait peur. Je ne voulais pas m'approcher d'elle, peur de sa noirceur, de cette menace d'engloutissement qu'elle portait en elle. Et soudain, c'est arrivé, je l'ai laissée entrer dans la chambre, j'ai entendu sa respiration et sa fragilité, ses frayeurs, son audace, son désarroi, et même son déséquilibre. J'ai trouvé de la lumière et de la candeur, de la mélancolie et de la joie. (...). Puis je l'ai adoptée, elle la grande orpheline. »

Camille Claudel, de Colette Fellous. Editions Fayard. 240 pages. 18 €. Photos exposition Les Papesses, palais des papes et Collection Lambert, Avignon et musée Albert-André, Bagnols-sur-Cèze.

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