Nîmes : Wolfgang Tillmans, l'art comme expérience du monde à Carré d'art
"Qu'est-ce qui est différent ?", magistrale exposition de Wolfgang Tillmans à Carré d'art, à Nîmes. Une proposition intégrée au programme des Rencontres d'Arles.
Dans un accrochage spectaculaire et millimétré, c’est une toute petite photo, au format carte postale dans le coin d’une salle de son exposition à Carré d’art à Nîmes. L'Allemand Wolfgang Tillmans photographie un mur de lampes à led à Hong-Kong, avec une vitesse d’obturation très rapide. Il saisit une autre réalité, une réalité que l’œil humain ne peut percevoir : les lampes s’éteignent quinze fois par seconde, elles paraissent toutes allumées et ne le sont pas. La vision, la perception, l’image sont au cœur du travail de Wolfgang Tillmans dont chaque exposition est comme une expérience du monde, esthétique, sensible, mais aussi politique. Dans dans une époque de “fake news” ou de “back fire effects”, où les gens continuent à croire des informations qu’ils savent fausses, le regard sur la réalité et la question de la vérité sont tourmentés, contestées. Ces questions traversent l’exposition de Wolfgang Tillmans, intégrée à la programmation hors les murs des Rencontres d'Arles, qui cherche à comprendre le monde à travers tous les modes de production de l’image.
« Cette exposition n’est pas une rétrospective, même si j’ai eu la surprise de constater que certains intérêts sont restés les mêmes depuis trente ans », sourit l’artiste. Dès le départ, le plasticien est impressionné par « l’élégance, la simplicité, la force et la fragilité du papier ». Il aime le voir sortir de la machine, que ce soit un fax, une photocopie ou une photographie et utilise le papier « comme une métaphore de la lutte contre ce qui s’effondre ». A travers les évolutions technologiques, les moyens d'expression de l'artiste ont évolué et en même temps, Wolfgang Tillmans a saisi les forces mouvantes de son époque, en en suivant les innovations.
Au fil du temps, Wolfgang Tillmans dresse avec son travail un portrait du monde. Il ne livre pas un journal intime, mais des images qui ont vocation à cartographier une époque. Il joue avec les définitions différentes qu’offrent les supports, montre comment une image peut changer de sens en fonction de sa mise en scène, il revisite les grands genres de l’histoire de l’art, la nature morte, le paysage, le portrait. Le regard du visiteur rebondit d’une image à l’autre, d’un format à l’autre, d’un écran à un petit tirage, d’une copie de journal à une grande photo. « Les couleurs, les histoires, les gestes, le contenu... Chaque connexion se fait un niveau différent du précédent », explique Wolfgang Tillmans, attentif à une pensée de la complexité.
Qu’est-ce qui est plus proche de la réalité ? Une photocopie agrandie dont on distingue la trame, un écran géant déjà obsolescent quand il sort de l’usine, une photographie haute définition de plusieurs mètres, l’image abstraite saisie par un vieux scanner qui déraille ou bien les mots pour le dire, pour décrire, pour définir, pour expliquer, pour discuter la réalité ? Une vaste panorama de trente kilomètres de Sahara, le détail d’une fleur, le portrait de Lady Gaga ou d’Oscar Niemeyer, un feu d’artifice sur Berlin ou une simple feuille de papier pliée aux reflets intenses... Avec chaque image, Wolfgang Tillmans montre que la technologie est ambivalente, que chaque vision du monde est autant une sensation d’une réflexion.
Aucune anecdote, chaque photo est destinée à représenter un sens universel qui la sépare du moment de sa prise de vue. Dans une rue asiatique, il photographie des jeunes qui jouent aux cartes. « Je ne montre pas mon voyage, mais l’image d’humains jouant. Elle aurait pu être prise 20 ans avant et en même temps, elle n’aurait pas pu car elle bénéficie de la technique contemporaine », explique Wolfgang Tillmans pour qui « le papier est une incroyable toile sur laquelle travailler ». Rien ne remplacera jamais l’expérience du regard devant une œuvre, « l’aspect incroyable unique d’un tirage et le rouge sur les lèvres de cette jeune fille dansant dans une discothèque ». Curieusement et de façon assez singulière, Wolfgang Tillmans parvient à conjuguer une approche à la fois conceptuelle et sensorielle. Cela se retrouve d'ailleurs dans la musique avec laquelle il a renoué récemment et qui accompagne l'exposition avec douceur.
S'emparant de l'espace avec une intelligence rare, l’artiste joue avec le regard, montre comment il est possible de le tromper simplement et sans tricher. Sur un écran vidéo, il montre un corps dansant, sur un autre une ombre. Insensiblement, « le cerveau se joue de nous », il associe les deux, « mélange la musique et le rythme des pas, pense que l’ombre est celle du corps ». C’est ainsi que prospèrent de nouvelles réalités qui n’en sont pas.
Jusqu’au 16 septembre 2018. Mardi au dimanche, 10 h-18 h. Carré d’art, place de la Maison-Carrée, Nîmes. 8 €, 6 €. 04 66 76 35 70.