Aix-en-Provence : Nicolas de Staël et la lumière incandescente du Midi
Une exposition magistrale sur les années méditerranéennes de Nicolas de Staël à l'hôtel de Caumont d'Aix-en-Provence.
Tout d'abord, et pour être parfaitement honnête avant d'évoquer Nicolas de Staël à l'hôtel de Caumont d'Aix-en-Provence, un aveu personnel : je tiens l'artiste pour l'un des plus grands peintres de la seconde moitié du XXe siècle. Je l'ai découvert adolescent sur la couverture des livres d'Albert Camus en Folio et depuis cette passion est restée intacte. La perspective d'une exposition consacrée à Nicolas de Staël, alors qu'il n'y a pas eu de grand événement en France depuis sa rétrospective à Beaubourg au printemps 2003, était pour moi une promesse enchanteresse et elle est parfaitement tenue, avec un zoom sur la période la plus exaltante et la plus exaltée, le séjour en Provence et le voyage en Sicile.
Plus de 70 toiles pour évoquer une année de création, quand l'exposition de Beaubourg comptait 135 peintures pour retracer toute une carrière. La densité de l'exposition d'Aix-en-Provence est saisissante ! Le rendez-vous est incontournable, passionnant, d'une beauté à couper le souffle. Chaque tableau est éclairé comme un bijou unique et le récit est d'une grande fluidité, grâce à la sélection impeccable des deux commissaires, Gustave de Staël, le fils de l'artiste et Marie du Bouchet, sa petite-fille et fille du poète André du Bouchet.
Quand il débarque à Lagnes en 1953, en Vaucluse, près de L'Isle-sur-la-Sorgue d'où vient son ami René Char, il commence à peindre des paysages de Provence, aux tonalités légères, des bleus légers, des blancs neigeux, des verts tendres pour des compositions aériennes et minimales, où l'artiste touche les infinies variations de la lumière matinale, comme un Morandi qui pointerait son nez hors de son atelier. De discrètes touches roses ou orangées percent sous l'épaisse couche de peinture, quand surgit un grand arbre bleu cobalt. A la même époque, à l'intérieur, il peint des natures mortes où les couleurs s'égayent.
Rapidement, sa palette s'embrase. Avec Arbre et maison, il livre un tableau au vermillon incandescent. « Vous êtes le seul peintre moderne qui donne du génie au spectateur. Chaque toile ouvre des possibilités de rêve absolument étonnantes », lui écrit Romain Gary. Nicolas de Staël peint des arbres en extérieur, des bouquets en intérieur, composition à la géométrie et à l'équilibre parfaits.
Quand il s'installe à Ménerbes, Nicolas de Staël commence une série de toiles hivernales et terreuses ou un fascinant grand arbre aux ramures rouges. En se promenant, il dessine les branches d'un trait net, franc, plein de vigueur et de légèreté.
En 1954, d'une visite chez Douglas Cooper, il ramène Paysage près d'Uzès. L'asphalte bleu, la colline verte, le ciel pur... La couche picturale s'amaigrit, s'éloignant peu à peu des premières toiles maçonnées, annonçant déjà les tableaux à suivre, celles qui naîtront de son voyage en Sicile. Quand il voyage en Italie, pour saisir l'intensité de la lumière, il abandonne les toiles où s'accumulent les couches de peinture, pour quelques lignes dessinant de grands aplats de couleurs pures. La lumière prend le pas sur la forme, Nicolas de Staël ramène la peinture à son essentiel. « Bon, je ne suis pas sûr qu'on puisse le dire comme cela, mais entre la forme absolue et l'informe absolu, ce qui se touche souvent, il y a un équilibre que seule la masse perçoit dans son volume », dit-il.
Devant la beauté et l'intensité des toiles, cela semble incroyable que les toiles soient peintes à l'atelier, à son retour de voyage, à partir de quelques dessins présentés dans l'exposition, quelques traits au feutre à la simplicité merveilleuse et l'incroyable puissance d'évocation. Avec cette peinture plus légère, Nicolas de Staël n'hésite pas, les ciels sont rouges ou verts, les collines sont jaunes ou roses... Il ose même composer avec le blanc de la toile dans certaines oeuvres évoquant Agrigente.
De la même façon, il peindra les barques à Martigues baignant dans un port orange, les bateaux de Marseille flottant dans une eau indigo ou une étonnante vision de Nice qui décorait le bureau de Barack Obama à la Maison Blanche. Quelques lignes seulement tracent des paysages avec une évidence, une force, un épure magique jusqu'à un paysage de 1954 réduit à un ciel carné, un sol jaune et dans un coin une roche noire et bleue. Nicolas de Staël marche sur un le fil, le plus fin possible, entre l'abstraction et la figuration.
L'exposition s'achève par une série de toiles nocturnes, où les grands ciels vides, sans étoiles, mélangent les noirs, les bleus, les bruns, les violets veillant sur des univers aux couleurs tour à tour douces ou explosives, chaleureuses sous ces voûtes célestes à la profondeur insondable. L'époque est aux succès, Nicolas de Staël est exposé à New York chez Paul Rosenberg, les toiles se vendent. Mais l'artiste est tourmenté, d'un point vue artistique et amoureux. Pour être près de sa maîtresse, le peintre quitte la Provence au milieu de l'année 1954 pour Antibes où il se suicide l'année suivante...
Jusqu'au 23 septembre 2018. Tous les jours, 10 h-19 h. Le vendredi, jusqu'à 20 h 30. Hôtel de Caumont, 3 rue Joseph-Cabassol, Aix-en-Provence. 14 €, 10 €, billet famille 42 €. 04 42 20 70 01.