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Aix-en-Provence : Picasso Picabia, duo et duel au sommet


L'un des temps forts de la saison Picasso Méditerranée. Au musée Granet d'Aix-en-Provence, l'oeuvre du maître est confrontée à celle de l'un de ses contemporains, Francis Picabia...

Comparaison n'est pas raison... Mais c'était le risque de cette saison Picasso Méditerranée, avec sa quarantaine de rendez-vous : impossible de visiter une exposition sans avoir dans les yeux la mémoire des précédentes. La confrontation entre Picasso et Picabia est stimulante, intelligente dans sa présentation, profonde dans sa mise en perspective et jouissive par l'ampleur des oeuvres explorées. Le titre "La peinture au défi", très juste, promet une confrontation au sommet entre deux monuments, deux révolutionnaires, deux incendiaires, deux bretteurs qui ont sans cesse attaquer la peinture pour la revivifier.

L'exposition est intéressante mais hélas, la sélection des œuvres de Picasso paraît un peu légère quand on vient de voir l'exceptionnelle monographie du musée Fabre à Montpellier. D'autant que cette variation autour du duo explore le même chemin, c'est à dire le renouvellement permanent et l'enchaînement des périodes. « Un peintre, disait Picasso, ne doit jamais faire ce que les gens attendent de lui. Le pire ennemi d'un peintre, c'est le style ». Tous deux se sont remarquablement tenus à ce principe, sans jamais changer de conviction, restant fidèles à eux-mêmes dans la remise en question permanente.

L'exposition était présentée comme l'un des incontournables du cycle Picasso Méditerranée, elle l'est assurément. Comme chez Picasso, tout est sublime, on se contente très bien des toiles et des dessins présentés, mais la confrontation est quelque peu déséquilibrée et finalement l'exposition est plus intéressante pour les Picabia que pour les Picasso. On s'en rend compte dès la première salle où deux petits paysages cubistes de Picasso font face à la grande Procession à Séville de Picabia. Un peu curieux...

Heureusement, les choses s'arrangent avec les dessins de la section "Classicisme et machinisme". Picasso disait que dès l'enfance, il savait dessiner comme Raphaël. On n'en doute pas en redécouvrant l'incroyable portrait de son ami Max Jacob, d'une finesse ahurissante. Picabia lui, d'un trait net, trace des machines, des mécaniques qui prennent des noms poétiques et sensuels, joue sur les double sens avec humour. Tous deux livrent leur vision de Guillaume Apollinaire, le poète qui fait le lien entre les deux artistes. Picasso portraiture son ami en blessé de guerre, la tête bandée. Picabia lui rend hommage, en poète immortel prêt à dégoupiller pour dynamiter une nouvelle fois la poésie.

Autre temps fort de l'exposition, l'évocation des racines espagnoles des deux artistes. Picasso est né en Andalousie, a passé sa jeunesse à Barcelone et l'Espagne revient souvent dans son oeuvre, notamment avec la sublime Femme à la mantille, au dessin virtuose et aux touches divisionnistes ou avec le goyesque portrait de madame Canals. Chez Picabia, d'origine hispano-cubaine, la figure de l'Espagnole revient plutôt sous forme de dérision. Il peint des portraits ingresques, ironiquement destinés à plaire au plus grand nombre. Picabia adopte la même attitude avec ses portraits de années 40, peints à partir de magazine de charme, alors que Picasso utilise, à la même époque, le portrait pour évoquer sa vie intime.

Tous deux décortiquent la peinture, en explorent les qualités optiques, flirtant avec l'abstraction. Dans les années 20, Picasso livre des natures mortes caractérisées par des aplats de couleurs et des rayures. Renouant avec l'abstraction, dont il est l'un des inventeurs, Picabia expose à Barcelone à la même époque des dessins où le regard flotte devant le sujet noyé dans un jeu visuel, simple et incroyablement efficace.

Dans cette façon de remettre en question la peinture, l'aventure Dada est fondamentale. Picabia attaque de front, avec ce mélange dévastateur d'humour et de nihilisme. Pour sa fameuse, Danse de Saint-Guy, il tend quelques ficelles et de petits cartons dans un cadre. Picasso regarde cette révolution, sans y adhérer et Picabia, malgré ses attaques contre les cubistes, observe Picasso avec respect. Farouchement indépendant, ce dernier livre une guitare en clouant quelques éléments sur une toile. Attention, qui s'y frotte s'y pique... Et encore, Picasso rêvait d'intégrer des lames de rasoir dans les angles du tableau ! Le rendu est incroyable, annonçant aussi bien Tapiès que l'arte povera.

De l'extrême simplicité, les deux artistes peuvent aussi glisser vers l'absolue provocation des métamorphoses monstrueuses. Picabia utilise du Ripolin industriel, compose des portraits avec des allumettes et des épingles à cheveux. Picasso déconstruit les formes, les corps et les visages. Tous deux livrent des portraits monstres, où les amoureux se dévorent quand ils dansent ou s'embrassent, flirtant avec un surréalisme où le merveilleux et l'effrayant ne sont jamais éloignés.

L'exposition s'achève avec deux moments singuliers, deux fins de partie étonnantes. Après guerre, Picabia est un oracle que vient consulter l'avant-garde de l'époque. Chez lui, se croisent les jeunes Soulages ou Yves Klein. Il peint des toiles abstraites à la facture épaisse, ponctuée de points, comme des étoiles dans un monde sombre. Picabia meurt en 1953, Picasso a encore vingt ans devant lui, deux décennies qu'il achève au début des années 1970 avec un série d'oeuvres pleines de vie, des portraits peints avec une urgence et un sens du burlesque bouleversants, des toreros, des mousquetaires ou des femmes d'une liberté et d'une fougue fascinantes.

Jusqu'au 23 septembre 2018. Mardi au dimanche, 10 h-19 h. Musée Granet, place Saint-Jean-de-Malte, Aix-en-Provence. 10 €, 8 €, gratuit étudiants et moins de 18 ans. 04 42 52 88 32.

Du 11 octobre au 13 janvier 2019. Fondation Mapfre, Barcelone.

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