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Arles : Picasso et Godard, le collage et la singularité


Une exposition curieuse explorant les parentés secrètes entre Pablo Picasso et Jean-Luc Godard. A voir à l'abbaye de Montmajour à Arles, dans le cadre des Rencontres de la photo et du cycle Picasso Méditerranée.

© Photogramme extrait de Pierrot le fou, de Jean-Luc Godard, 1965. Avec l’aimable autorisation de STUDIOCANAL, Société Nouvelle de Cinématographie et Dino De Laurentis Cinematographica, S.P.A. (Rome)

Curieuse idée de confronter l'art de Pablo Picasso et de Jean-Luc Godard... L'un est né en 1881, il a peint son premier tableau en 1889, il est mort en 1973. L'autre est né en 1930, il a réalisé son premier long métrage en 1960, il a 87 ans. Présentée à l'abbaye de Montmajour à Arles, l'exposition est certainement la plus singulière de cet été dans le Sud de la France. Comme l'an dernier où le musée Fabre de Montpellier montrait les correspondances entre Francis Bacon et Bruce Nauman sans forcément chercher de comparaisons esthétiques, l'exposition tire des fils subtils pour montrer comment Picasso et Godard ont tous les deux déconstruit leur art, se nourrissant des classiques pour le pousser ses retranchements, pour être d'une certaine manière le dernier peintre et le dernier cinéaste, deux génies à la fois contestataires et classiques.

Le commissaire Dominique Païni est un habitué des projets étonnants et décalés. Il avait notamment signé pour le centre Pompidou les expositions consacrées à Roland Barthes ou à Alfred Hitchcock. Au coeur de l'exposition Picasso Godard, figure la question clé du collage et de la citation. Pour Picasso, cette pratique remonte à l'époque du cubisme, mais elle revient ponctuellement de façon directe ou indirecte au fil de son oeuvre. La citation est omniprésente, d'Ingres à Goya, en passant par les grands cycles des années 50 et 60 autour de Velasquez, Delacroix ou Manet. Pour Godard, grand cinéphile, nourri par la pensée d'Henri Langlois, les clins d'oeil aux grands aînés et à ses contemporains sont omniprésents dans ses films. Mais la pratique du collage va plus loin. Parallèlement à ses tournages, Godard s'est livré régulièrement à ces mélanges plastiques entre images et textes, composant des oeuvres graphiques où s'entremêlent l'actualité, l'histoire et le septième art pour des affiches, en guide d'interview pour les Cahiers du cinéma, mais aussi pour son fameux livre Histoire(s) de cinéma.

Louis Aragon, ami de Picasso et admirateur de Godard, est le premier à faire le lien entre les deux avec son livre Les Collages, qui débute avec le cubisme et se termine par la Nouvelle Vague. « Le système suppose l'emprunt d'une pensée "toute faite", introduite d'un autre art que le cinéma lui-même, ce qui semble à nos gens sacrilège ou, tout au moins, de mauvais goût. Comme il était de mauvais goût d'introduire un objet non-peint dans la peinture, ou de transcrire un peu plus tard le procédé du collage pictural dans la littérature », remarque l'écrivain en 1965.

L'autre fil rouge de cette rencontre, c'est la Méditerranée et avec elle la couleur. On sait l'impact qu'ont eu ces paysages dans l'histoire de l'art, chez les fauves notamment. Chez l'Andalou Picasso, comme chez le Suisse Godard, cela va plus loin. L'héritage culturel de la mare nostrum est fondamental, par sa mythologie, autant que par sa lumière. Un portrait de Jacqueline apparaît brièvement dans Pierrot le fou. Mais c'est surtout avec Le Mépris et les scènes tournées dans la Villa Malaparte à Capri, qu'apparaît le soleil méditerranéen chez Godard. Dans ces films, il réduit sa palette chromatique pour mettre en avant les couleurs primaires. Le bleu, le rouge, le jaune éclaboussent la pellicule et l'écran, dans une simplicité fondamentale et une efficacité maximale. « Toute la deuxième partie de mon film sera dominée, du point de vue des couleurs, par le bleu profond des mers, le rouge de la villa et le jaune du soleil », explique Jean-Luc Godard à propos du Mépris.

Chez Picasso, la Méditerranée prend plusieurs facettes. L'exposition choisit notamment d'évoquer la figure du Minotaure, double mythique, faisant écho à sa passion tauromachique qui apparaît aussi dans une extraordinaire série réalisée avec l'ami photographe André Villers. Au début des années 1950, tous deux réalisent à quatre mains des collages photographiques où Picasso découpe les tirages de Villers qui photographie les recompositions. Les images rarement montrées sont éblouissantes. Thème sensible aujourd'hui, mais tellement méditerranéen, la tauromachie est omniprésente dans l'art de Picasso, matricielle dans son rapport au monde. L'exposition évoque le film Méditerranée de Jean-Daniel Pollet et Philippe Sollers, où le réalisateur fait alterner images d'une femme qui dort et une scène d'arène. Jean-Luc Godard fera l'éloge de cet essai cinématographique. Ce n'est pas évoqué dans le parcours, mais le réalisateur suisse a eu lui aussi recours à des images de corrida dans Film Socialisme en 2010.

Avec cette exposition expérimentale, Dominique Païni montre comment regarder autrement et présente en écho quelques oeuvres contemporaines qui viennent dialoguer avec Picasso et Godard ou les faire dialoguer. C'est le cas notamment de Charlotte, femme endormie d'Ange Leccia ou d'un film d'Alain Bergala, qui propose une relecture parallèle de la pensée de Picasso et Godard, à la fois érudite et poétique.

Informations pratiques

Jusqu'au 23 septembre. Tous les jours, 10 h-18 h 30. Abbaye de Montmajour, route de Fontvieille, Arles. 6 €, 5 €, gratuit - 18 ans. 04 90 54 64 17

Pour aller plus loin

Collage en Arles, duel au soleil entre un cinéaste et un peintre. L'art est la matière, France Culture, 1er juillet 2018. Jean-Luc Godard, l'homme cinéma. Le Temps, 29 juillet 2018.

Toutes les expositions du projet Picasso Méditerranée.

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