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Bordeaux : Danh Vo et la mémoire coloniale au CAPC


Impressionnante exposition de l'artiste d'origine vietnamienne Danh Vo au CAPC de Bordeaux.

Sans vouloir faire mauvais jeu de mot, Danh Vo à Bordeaux, c'est du lourd ! L'artiste s'installe dans la grande nef des anciens entrepôts Lainé, construit au XVIIIe siècle pour stocker les denrées coloniales. Et comme la question coloniale, la mémoire et l'histoire font partie des thèmes de prédilection de l'artiste, la confrontation avec le lieu prend soudain une ampleur impressionnante. L'accrochage du CAPC joue avec les volumes avec une intelligence rare, avec quelques pièces dispersées, palpitant sous les voûtes de pierre.

Installé à Berlin, Danh Vo est désormais une star de la scène internationale. L'artiste d'origine vietnamienne, élevé au Danemark, était exposé au Guggenheim de New York au printemps dernier. En 2015, il représentait le Danemark à la biennale de Venise tout en étant choisi par François Pinault comme commissaire pour mettre en scène sa collection à la Pointe de la douane.

A Bordeaux, il présente d'abord une vaste installation de blocs de marbre, entre lesquels les visiteurs sont invités à déambuler, en laissant traîner leurs mains sur les roches. Les énormes chutes de pierre proviennent des fameuses carrières de Carrare en Toscane, comme celles où ont été taillées les sculptures de Michel Ange, dont on découvre, dispersées dans ce savant chaos, quelques photos montrant des détails du David ou du Moïse. Se retrouvent alors mêlés le classique et le contemporain, l'artistique et l'artisanal, l'humain et le minéral, la nature et la culture, le brut et le délicat, le rugueux et le lisse, la pesanteur et l'apesanteur, la mémoire des artistes créateurs de l'esthétique occidentale et les petites mains ouvrières oubliées qui ont extrait dans la sueur, depuis des siècles, ce marbre dont on fait les chefs-d'oeuvre.

Mais ces énormes blocs, dont certains pèsent plus de vingt tonnes, symbolisent aussi une forme de puissance masculine, celle d'un monde occidental conquérant par ses armées, ses navires, son commerce, sa culture, sa religion. A travers la circulation des oeuvres d'art en Europe et dans le monde, se dessinent aussi des rapports géopolitiques, des frottements entre les univers qui sont au coeur du travail de Danh Vo, de ses questionnements sur les civilisations et l'histoire.

Les autres oeuvres poursuivent cette réflexion. Avec Lick me, lick me, il taille en deux un buste d'Apollon, au marbre laiteux, témoin déjà des échanges, des imitations et des conquêtes entre les mondes romains et grecs. Mais c'est surtout avec Untitled (Lord's table from private chapel) qu'il impressionne. Sur de grandes étagères de métal, Danh Vo dépèce et présente en pièces détachées un retable portugais créé au XVe siècle dans un style flamand, avec un Christ en croix sculpté aux Pays-Bas. L'éparpillement, le goût des collections, les objets sortis de leur contexte pour en révéler les sens cachés font partie de la démarche et de l'esthétique de Danh Vo. L'effet est particulièrement fort avec cette pièce, qui relève de la déconstruction à la fois physique et intellectuelle.

L'évangélisation du monde était l'une des justifications du colonialisme. Les prêtres et les missionnaires partaient à travers le monde, d'où venaient l'or et les épices. Le sort de l'un d'eux est évoqué. Théophane Vénard a été canonisé par le Vatican, il a été décapité à Hanoi en 1861. Juste avant, il a écrit à son père une lettre. Acquise par l'artiste, elle est aujourd'hui calligraphiée, dans un retournement de situation par son père Phung Vo, sans autre ressource.

Le parcours s'achève dans une ambiance totalement différente avec l'installation en miroir, Take my breath away. Le visiteur se retrouve piégé dans un dispositif clos où se côtoient les mots gravés une nouvelle fois par son père, extraits de la bande annonce du film Top Gun et la série Photographs of Dr Joseph M. Carrier. Les images montrent des hommes, certains se tenant par la main. Elles ont été prises par Jo Carrier, spécialiste antiguerilla pendant la guerre au Vietnam, radié à son retour aux Etats-Unis pour suspicion d'homosexualité. Les images se mélangent aux textes, aux corps des visiteurs, aux reflets de cette gigantesque nef pour en changer en permanence la perception, dans un goût de la complexité interrogeant la mémoire américaine de la guerre du Vietnam.

Jusqu'au 28 octobre. Mardi au dimanche, 11 h à 18 h. Jusqu'à 20 h, le mercredi. CAPC, 7 rue Ferrère, Bordeaux. 7 €, 4 €. 05 56 00 81 50.

L'accrochage de la collection permanente de Carré d'art à Nîmes présente actuellement Danh Vo, à travers trois morceaux de son oeuvre We the people où il a reproduit la Statue de la Liberté avant de l'éparpiller à travers le monde, et à travers elle, son grand message d'optimisme et les hypocrisies qui l'accompagnent...

Carré d'art, place de la Maison Carrée, Nîmes. 5 €, 3 €. 04 66 76 35 70.

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