Arles : l'énorme exposition Gilbert & George à la fondation Luma
Monumentale rétrospective consacrée au duo britannique Gilbert & George à la fondation Luma Arles. Incontournable !
Le titre n'est pas mensonger, il relève même de l'euphémisme. "The Great Exhibition, 1971-2016, Gilbert & George". Grande ? Le mot est délicat pour qualifier la présentation démesurée de cette rétrospective consacrée au duo britannique à la fondation Luma Arles. Du sol au plafond, les murs de l'atelier de mécanique sont couverts par les oeuvres, avec un accrochage à la densité spectaculaire, invitant à la déambulation et aux aller-retour.
Conçue par Hans-Ulrich Obrist, directeur de la galerie Serpentine à Londres et star internationale des curators contemporains et Daniel Birnbaum, historien de l'art, l'exposition rassemble 80 pièces, dressant le portrait et la chronique d'une époque. Gilbert, né en Italie en 1943 et George, né en Angleterre en 1942, sont des mémorialistes. les ont depuis presque cinq décennies créé des oeuvres où ils se mettent en scène avec un humour dévastateur, un sens de la provocation toujours aussi jouissif et une crudité à l'élégance so british. Tout y passe, la religion, le sexe, la communautarisme, la mort, le fric, tout ce qui ne se nommait pas encore le politiquement correct quand ils ont commencé à bâtir leur oeuvre, mais qui a envahi les esprits depuis.
Ce qui frappe l'oeil dès l'entrée dans l'exposition, c'est la remarquable unité esthétique, thématique et symbolique des oeuvres. Certes, les couleurs se font de plus en plus vives au fil du temps, les pièces s'agrandissent au fil des années. Mais dès le départ, Gilbert & George semblent avoir trouvé un vocabulaire à l'efficacité incroyable, avec des vitraux pop immédiatement reconnaissables, mélanges de photos et de peintures où se mélangent le grotesque et le surréalisme, le comique et le tragique.
Plus que toute analyse, Le sens de notre art, un texte manifeste écrit par les artistes en 1986 résume cette démarche, généreuse, populaire et universelle :
« L'art pour tous
Nous voulons que notre art s'adresse, par delà les barrières de la connaissance, à la vie des gens et non à la connaissance de l'art. Le XXe siècle a été meurtri par un art hermétique. Les artistes décadents ne tolèrent qu'eux-mêmes et leurs petits protégés : ils congédient et se moquent des gens ordinaires. Nous affirmons que l'art hermétique, obscur et obsédé par la forme, est décadent et constitue un déni cruel de la vie des gens.
La progression par l'amitié
Notre art est une amitié nouée entre le spectateur et nos images. Chaque image par d'un "point de vue singulier" que le spectateur a tout loisir de mesurer à l'aune de sa vie. La vraie fonction de l'art est de proposer une vision, une avancée et une évolution nouvelles. Tous les habitants de la Terre s'accordent à dire qu'il reste du chemin à faire.
Un langage au service du sens
Nous avons inventé un langage visuel que nous affinons sans cesse. Nous voulons la forme moderne la plus accessible, par laquelle créer des images modernes les plus parlantes de notre temps. La technique est subordonnée au sens et au but de l'image. Nous créons des images pour changer les gens et nous pour encenser leur façon d'être.
Les forces vitales
La vrai art provient de trois principales forces vitales :
La tête
L'âme
Et le sexe.
Dans notre vie, ces forces s'agitent et se propagent dans différents arrangements en perpétuelle évolution. Chacune de nos images est une représentation figée de l'un de ces "arrangements".
Le tout
Lorsqu'un être humain se lève, le matin, et décide de ce qu'il veut faire et d'où aller, il se donne une raison ou une excuse pour continuer de vivre. Nous, artistes, n'avons que ça à faire. Nous voulons apprendre à respecter et honorer "le tout". La teneur de l'humanité est notre sujet et notre inspiration. Nous défendons, chaque jour, les bonnes traditions et les changements nécessaires. Nous voulons trouver et accepter tout le bien et le mal en nous. La civilisation a toujours compté sur les "personnes généreuses" pour avancer. Nous voulons répandre notre sang, notre cerveau et notre semence dans notre quête perpétuelle de nouveaux sens et objectifs à donner à la vie. »
Après Arles, l'exposition sera présentée l'an prochain au Moderne Museet de Stockholm en Suède, dirigé par Daniel Birnbaum, l'un des commissaires et à l'Astrup Fernley Museet d'Oslo en Norvège, puis en 2020 au Reykjavik Art Museum en Islande.
Les expositions s'accompagnent d'un catalogue tout aussi monumental, où les artistes, lors d'un long entretien avec Hans-Ulrich Obrist racontent cinq décennies de création depuis le Swinging London jusqu'aux dernières années, en passant par la décennie punk. Au fil de la rencontre, se dessine un art qui avait dès le départ avait une vertu prophétique, dans sa dénonciation de tous les obscurantismes qui ensanglantent aujourd'hui la planète.
Jusqu'au 6 janvier 2019. Tous les jours, 10 h-19 h 30. Fondation Luma, parc des ateliers, 45 chemin des Minimes, Arles. Pass 15 €, 10 € donnant accès aux autres expositions de la fondation.