Avignon : Ellsworth Kelly, la ligne, la forme et la couleur à la Collection Lambert
Vaste exposition Ellsworth Kelly à la Collection Lambert à Avignon, autour d'une donation de 54 estampes.
L'Américain Ellsworth Kelly est un artiste assez insaisissable, « entièrement à part » selon l’historien de l’art Eric de Chassey, commissaire de l’exposition que lui consacre la Collection Lambert à Avignon. Il se lance dans l’abstraction dans les années cinquante, sans se laisser tenter une minute par l’expressionniste dominant, continue à vouloir transmettre une expérience du réel à travers sa peinture radicale, annonce l’art minimal à l’égard duquel il sera toujours distant… C’est peut-être pour cela qu’il a été si peu montré en France, où il a commencé sa formation après la Seconde Guerre mondiale. Né en 1923, lauréat d’une bourse destinée aux anciens militaires ayant participé à la libération de l'Europe, il y découvre Monet et l’architecture romane qui l’inspireront de façon fondamentale… Un monochrome vert inspiré par le peintre de Giverny était exposé encore récemment au musée de l'Orangerie à Paris pour une exposition faisant le lien entre l'impressionniste et les artistes américains du XXe siècle.
Eric de Chassey, commissaire de l'exposition.
De Sol Lewitt à Robert Barry, en passant par Robert Mangold ou Brice Marden, la Collection Lambert à Avignon possède des œuvres d’à peu près tous les grands noms de l’art américain des années soixante et soixante-dix, mais aucun Ellsworth Kelly, mort en 2015, le grand annonciateur qui appartient à la génération précédente. L’exposition y résonne donc d’un ton particulier, par les dialogues secrets qui se tissent avec les œuvres du fonds.
Centrée autour de la donation de cinquante-quatre estampes de son compagnon Jack Shear à l’Institut national de l’histoire de l’art, la présentation s’accompagne de prêts exceptionnels, notamment un grand diptyque commandé par l’Unesco en 1969 ou une toile de la fondation Maeght rarement prêtée.
Jack Shear, compagnon d'Ellsworth Kelly.
L'exposition est aussi l'occasion de découvrir des oeuvres rarement vues et assez éloignées de l'image austère qui accompagne souvent, et à tort, le travail d'Ellsworth Kelly. Qu'il s'agisse d'un dessin de jeunesse dans les jardins de Luxembourg, d'une robe ou d'une sculpture évoquant curieusement l'op art, la présentation montre les chemins de traverse qu'a parfois emprunté l'artiste. A partir d'un polaroïd agrandi, le peintre abstrait livre même une variation colorée autour du portrait. Mais chaque fois, c'est la même éthique qui guide Ellsworth Kelly. A travers toutes ses recherches, il touche une forme de puissance dans la simplicité, ce qui suppose un équilibre délicat.
L’art d’Ellsworth Kelly est une épure, où s’imposent le choix de la ligne juste et de la couleur pure, une précision du dessin pour toucher une évidence naturelle. « Comme si cela avait toujours existé », selon Éric de Chassey. Dans les années soixante-dix, sa série romane est éblouissante. Sur le même principe formel, un rectangle séparé en deux par un arc de cercle, il livre une étourdissante variation, jouant avec la perception dans un aller-retour perpétuel entre le corps et l’esprit. Chaque gravure porte le nom d'une grande église romane, dont la douceur des lignes a nourri l'art d'Ellsworth Kelly. Quelques dessins montrent un peu la façon de travailler de l’artiste, qui observe une fleur, une feuille, puis note ce qu'il voit sans aucune invention d’un trait continu, sans aucun volume.
L’harmonie, la pureté, l’équilibre… L’œuvre d’Ellsworth Kelly relève du silence, d’une sensibilité fragile et néanmoins absolument directe. Il prend des lignes, des formes, des couleurs et avec ce simple vocabulaire, transporte la peinture vers un ailleurs où le regard est entièrement débarrassé de toute expérience précédente.
Jusqu'au 4 novembre. Mardi au dimanche, 11 h à 18 h. Collection Lambert, 5 rue de la Violette, Avignon. 10 €, réduit 8 €, 2 € - 11 ans, gratuit - 6 ans. 04 90 16 56 20.