Sur la piste... Arles, Van Gogh, Gauguin et l'automne aux Alyscamps
Durant l'automne 1888, Van Gogh et Gauguin s'affrontent à Arles, notamment à travers leurs peintures des Alyscamps.
La période est courte, mais fondamentale pour l'histoire de l'art. En octobre 1888, il y a 130 ans tout juste, Paul Gauguin rejoint Vincent Van Gogh à Arles pour un automne brûlant comme les feuilles des arbres des Alyscamps en cette saison. Van Gogh rêvait de créer un atelier où les artistes viendraient se nourrir de la lumière méridionale. La cohabitation va être orageuse et ne durera que deux mois. Peu avant Noël, Van Gogh se coupe une oreille et Gauguin quitte Arles, mettant un terme à une relation destructrice.
Pendant cette période, les deux artistes parcourent la ville et la campagne alentour. Ils peignent certains sujets communs, c'est notamment le cas des Alyscamps, les Champs Elysées en provençal, un cimetière gallo-romain aux abords de la ville où ils vont s'affronter par leur art. Lieu plein de magie et de poésie, cette promenade aligne les tombes antiques sous les frondaisons rougeoyantes à l'automne, la même que l'on aperçoit dans les oeuvres de deux peintres. Séparé du parc des ateliers où se construit la fondation Luma par canal de Craponne le long duquel les peintres ont posé leurs chevalets, les Alyscamps n'ont rien perdu de leur mystère, notamment à l'intérieur de l'étrange église Saint-Honorat.
Dans sa remarquable biographie de Paul Gauguin, David Haziot, qui a aussi écrit une somme importante sur Van Gogh primée par l'Académie française, évoque cet épisode :
« Vincent conduisit donc Gauguin vers les Alyscamps. Il n'avait aucun goût pour peindre les ruines, les tombeaux et les monuments, mais il pensa que le site pourrait plaire à Gauguin par sa richesse symbolique. Là encore, tandis que Van Gogh menait à bien quatre toiles, Gauguin n'en fit que deux. Pas facile de suivre un tel énergumène perpétuellement inspiré.
« Qu'importe, puisque ces deux tableaux sont de grandes réussites. En quelques jours, Gauguin fut forcé de s'adapter pour de bon au pays afin de suivre le rythme infernal imposé par son compagnon. Etait-ce l'automne ou la chute des feuilles ? Ou ce cimetière antique ? A côté du Midi éruptif et incandescent de Van Gogh, Gauguin donna à entendre une symphonie de couleurs mélancoliques et désenchantées. Délaissant le symbolisme comme motif principal pour un temps, il orienta ses recherches vers la couleur. Deux tableaux, "Les Alyscamps ou les Trois Grâces au temple de Vénus" et "Les Alyscamps, chute de feuilles" retrouvent la veine colorée de la Martinique un temps abandonnée durant les recherches symboliques de Pont-Aven. L'accord bleu-vert-orangé de Cézanne qui sert de base est enrichi par des gris violacés.
« Ces toiles sont l'écho de discussions avec Vincent et Gauguin a voulu montrer à son ami comment il pouvait tirer les harmonies sur le mode mineur par des accords complexes et raffinés. La première toile représente trois Arlésiennes entre le canal de Craponne qui longe l'allée des tombeaux et les peupliers qui la bordent. Les trois personnages sont bien petits, et au loin, au-dessus d'eux, on aperçoit les restes de l'église Saint-Honorat. L'autre toile, une merveilleuse féerie d'automne, nous donne le bout de l'allée, quelques tombes et l'entrée de l'église ombragée par des arbres dont les feuilles tombent en pluie d'or.
« Parmi les quatre tableaux faits par Van Gogh sur le même lieu, deux d'entre eux tentent de se rapprocher de Gauguin. Ces deux oeuvres intitulées l'une et l'autre "Les Alyscamps, chute de feuilles" recourent aux aplats de couleurs cernés. Mais si le premier est encore un Van Gogh par la couleur, le second apparaîtrait presque comme un pastiche de Gauguin par ses couleurs inhabituelles chez Vincent, des troncs d'arbres bleus et un sol rose sur lequel tombent les feuilles jaunes. Les discussions allaient donc bon train, mais les emprunts, eux, se firent dans le même sens, car les toiles de Gauguin n'empruntent pour l'instant rien à l'ami.
« Ces travaux étaient entrecoupés de dîners préparés et pris ensemble, de verres au café des Ginoux, de visites au bordel de zouaves dont ils devinrent de très bons clients, et, on l'a dit, de conversations. Or très vite des différences de points de vue apparurent, compliquées par le fait que la discussion avec Vincent n'était pas facile.
« On sait que pour Gauguin les mots ont toujours eu, souvent à ses dépens, peu d'importance, mais il en allait tout autrement pour son partenaire. Avec Vincent, la conversation n'était pas un échange, mais un combat. »
Le lieu a aussi inspiré un tableau à Felix Valloton et un poème à Paul-Jean Toulet, qui dit en quelques vers seulement toute la douce mélancolie que peut inspirer cet endroit...
Dans Arles, où sont les Aliscans, Quand l’ombre est rouge, sous les roses, Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses. Lorsque tu sens battre sans cause Ton coeur trop lourd ;
Et que se taisent les colombes : Parle tout bas, si c’est d’amour, Au bord des tombes.
Informations pratiques :
Itinéraire Van Gogh balisé par l'office de tourisme d'Arles.
Tous les jours, 9 h-18 h. Avenue des Alyscamps, Arles. 3,50 €, 2,60 €. 04 90 49 59 05.