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"Pour moi, c'était juste une maman, pas Françoise Sagan"


En 2012, Denis Westhoff publiait chez Flammarion un beau livre consacré à sa mère, Françoise Sagan, à partir des photos parues dans la presse et des archives familiales. Depuis des années, il défend une oeuvre littéraire encensée à son époque. Rencontre avec l'auteur à l'occasion du festival de la biographie à Nîmes en janvier 2013.


Vous aviez déjà écrit un livre de souvenirs, comment est né l'idée de cet album de photos ?

En réalité, l'album était prévu avant le livre de texte, c'est un projet qui remonte à deux ou trois ans. Je me suis aperçu qu'il y avait beaucoup d'archives, de photos d'agence et puis, il y avait les textes de ces entretiens. J'ai tout de suite eu l'idée de ce livre.

L'autre livre de souvenir est venu d'une initiative de mon éditeur, car j'étais pourchassé par un autre qui voulait un livre commercial, à scandales, pour parler de drogue, d'alcool et de vitesse. Je fais le premier texte pour me débarrasser de lui.

Votre mère a été énormément photographiée. Comment s'est fait le choix des photos?

Une personne de Flammarion a fait des recherches énormes, dans les agences de presse, les archives de magazine. Et puis j'ai fait un choix parmi toutes les photos de mon grand-père qui adorait sa fille et n'arrêtait pas de la photographier. Il y a même des photos que je ne connaissais pas.

Vous avez découvert une nouvelle personne ?

Non, c'est toujours très surprenant, agréable et sympathique. Mais j'ai découvert des images en elles-mêmes. Je n'ai pas eu de révélation.

Et pour le choix des textes de votre mère ?

Cela s'est fait en fonction des photos. Il y avait les textes de deux volumes d'entretiens Répliques et Réponses qui ont été réédités en un seul volume sous le titre Un certain regard. C'était assez facile, elle y parle de tout, de la vie, de l'amour, de la mort, des difficultés financières, du jeu... On retrouve chaque thème.

Et moi, je suis venu apporter mon grain de sel en livrant quelques souvenirs.

C'est un plaisir d'écrire ? C'est toujours amusant d'écrire. Il y avait des choses qui étaient plus faciles à retrouver et à raconter. D'autres plus difficiles. Je n'ai pas de souvenirs de casino, je n'y allais pas, je n'étais pas majeur. C'est un travail qui m'a beaucoup plu, qui m'a donné beaucoup de plaisir.

Est-ce difficile quand on a l'ombre de Françoise Sagan dans le dos ? C'est difficile. Cela m'empêchait de commencer. Finalement, il y a bien fallu que je débute en faisant abstraction de cette ombre, sans me dire qu'il fallait faire attention parce que j'étais le fils d'un grand écrivain. J'ai écrit le plus naturellement du monde, le plus simplement possible. Finalement, j'ai écrit assez facilement, en laissant un temps cette ombre dans le placard. Sinon, je n'y serais jamais arrivé.

On dit toujours que votre mère incarnait la femme libre. En quoi, était-elle libre ?

Quand en 1954, elle écrit Bonjour Tristesse, elle bouscule pas mal en faisant paraître des idées qui étaient déjà sous-jacentes. On était dans une société fermée, bourgeoise, coincée où les jeunes n'avaient pas leur place. Avec le personnage de Cécile, elle dit plein de choses que les jeunes ressentent et n'osent pas dire.

Elle incarne une liberté absolue. Elle était d'une grande intelligence sur les êtres humains et savait se tenir à l'écart des contraintes et des choses ennuyeuses. Elle avait compris les bons et les mauvais côtés de la vie, comment ça marchait. Elle a été l'une des premières à rouler en voiture décapotée dans le Midi, à aller au casino toute seule. Elle avait choisi cette liberté. Elle était très lucide, sur la vie, les rapports humains. Elle avait pigé ce qui était bien et moins bien et elle a profité de tout ce qu'on pouvait faire à son âge quand on avait du talent et de l'argent, parce qu'elle a eu de l'argent très jeune. Elle s'est offert beaucoup de choses sans restriction, et d'ailleurs pourquoi se serait-elle imposée des barrières, il n'y avait aucune raison.

Quelle mère était-elle ?

Elle était très présente à sa manière. Ce qui veut dire qu'elle n'était pas tout le temps là. Elle ne venait pas me chercher à l'école, ne recousait pas mes chaussettes et ne me faisait pas de gâteaux. Je la voyais le soir, elle avait toujours du temps disponible pour moi. Elle faisait très attention à la façon dont je grandissais, dont j'évoluais, à la façon dont j'étais éduqué, que je sois un garçon attentif aux autres. Elle était attentive à ce que je m'intéresse à la peinture, à la littérature, à la musique et surtout que j'aille vers les choses que j'aime. Elle était beaucoup préoccupée par ma liberté à moi, par mes aspirations. Quand je voyageais, que j'étais en colonie, elle téléphonait, savait toujours où j'étais, faisait attention à mon quotidien.

Elle vous a beaucoup préservé des médias et de sa vie publique...

Elle m'a tenu à l'écart, ne voulait pas que je sois pris en photo, mis en avant. Elle trouvait cela inutile et ridicule. Elle ne voulait pas me montrer comme une bête curieuse qu'on embêterait dans la cour de récréation. Je portais le nom de mon père. A l'école, personne ne savait qui j'étais sauf mes professeurs, le directeur et deux ou trois amis. J'ai eu une enfance normale, grâce à elle.

Pour moi, c'était juste une maman. J'ai vécu avec ma mère, pas avec Françoise Sagan.

Vous ne vous rendiez pas compte que vous viviez avec une légende ?

Je me suis aperçu après, vers l'âge de 15 ou 16 ans, quand on commence à se poser des questions, qu'elle était une femme aussi connue, sa légende, son métier, son talent, sa réputation. Avant, la célébrité ne m'intéressait pas. J'avais une vie tout à fait normale de petit garçon. Je n'étais pas du tout privilégié, avec des cadeaux tous les deux jours et des voyages en avion privé.

Du jour au lendemain, j'ai réfléchi et j'ai pris conscience de tout cela. Egalement quand j'ai commencé à lire ses livres, je me suis rendu compte que j'avais une mère hors du commun, différente de la plupart des mamans. J'étais évidemment touché, ça fait plutôt plaisir.

Est-ce que vous pensez que l'oeuvre de votre mère est, aujourd'hui, considérée à sa juste valeur ?

Je m'efforce, depuis qu'elle est partie, qu'elle soit considérée comme l'un des écrivains classiques du XXe siècle. Au début, j'avais des doutes. Sur la fin de sa vie, ses livres ne se vendaient pas bien. Est-ce qu'elle avait sa place parmi les grands écrivains contemporains. J'ai fait relancé l'édition de ses livres et ils continuent à plaire.

On parlait longtemps de petite musique de Sagan, comme si c'était quelque chose d'un peu anecdotique...

En la relisant, certains se rendent compte qu'il s'agit d'un vrai auteur. Il n'y a pas seulement la petite musique, les personnages à la vie facile dans une bourgeoisie parisienne nonchalante. Cela va au-delà de tout ça, c'est plus profond, il y a une écriture, une réflexion très forte. Elle est en train d'être prise au sérieux. Même si elle détesterait qu'on dise ça.

"Françoise Sagan, ma mère", de Denis Westhoff. Editions Flammarion. 224 pages. 14,90 €.

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