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Arles : l'image mécanique, une autre histoire de la photo à la fondation Luma


Une exposition conçue par Walead Beshty, autour de ses recherches sur l'image mécanique, à la fondation Luma Arles.

Depuis le milieu du XIXe siècle, l’image, avec le développement de ses procédés de reproduction, a envahi le monde. Avec “Picture industrie : une histoire provisoire de l’image technique, 1844-2018”, la fondation Luma à Arles propose de remonter le temps, de voir comment, à côté de la photographie, s’est développée une image mécanique. Foisonnante, riche, l’exposition occupe tout le bâtiment des Forges pour une traversée non pas de l’histoire des images, mais de l’histoire tout court, à travers la place des images, la façon dont elles suivent les évolutions techniques et sociales, donnent à voir le temps et épousent l’époque.

Fruit des recherches de Walead Beshty, à la fois artiste, essayiste et curateur qui avait participé à l'exposition Systematically Open en 2016, l'exposition s'accompagne d'une publication rassemblant les contributions de plus de 200 personnes pour une vue d'ensemble du medium photographique, de sa création à nos jours où certaines images de surveillance ou produites dans la sphère militaire échappent totalement à l'idée d'auteur. Parfois difficile à suivre (un chapitrage aurait facilité la visite), l'exposition érudite, comme la somme qui l'accompagne, zigzague le long des frontières entre l'artistique et le technique pour éduquer le regard.

En 1844, pour la première fois, William Henry Fox Talbot publie dans un livre une série de plaques entièrement exécutées grâce au nouveau procédé du “dessin photographique”. Une révolution est en marche... Les images permettent de découvrir le monde, de voyager vers à la rencontre des indiens du Wyoming grâce aux cartes postales de William Henry Jackson. Elles permettent aussi à ce siècle scientiste et positiviste d’étudier. En 1885, Georges Gilles de la Tourette reproduit des empreintes de pas qui permettent d’analyser la marche, que décortique avec ses photos Eadward Muybridge. A la même époque, Etienne-Jules Marey développe un fusil photographique qui en mitraillant permet de décortiquer le vol des oiseaux, la marche des éléphants ou le déplacement des éléphant. Cela donne même lieu à certains délire, comme avec Francis Galton dont les portraits composites partent à la recherche du type criminel par une superposition des images, grâce à des expositions limitées et répétées.

Au XXe siècle, grâce à la presse, l’image prend une nouvelle mesure, à la fois par sa masse, mais aussi par ses fonctions politiques. Dans l’après-guerre, les photos de Gordon Parks dans les magazines américains accompagnent la lutte des noirs, avec des reportages sur Harlem ou sur Mohamed Ali. Une autre image de l’Amérique est également visible dans Fortune grâce à Walker Evans et notamment avec ses Labor Anonymous. Stephen Shore s’empare de la banalité des paysages urbains à Amarillo, Texas pour une série de cartes postales.

Ce développement de la photo industrielle accompagne aussi la création contemporaine, offre des outils conceptuels aux artistes. Les photos de châteaux d’eau des Becher sont ultra-célèbres, détournant la photo de tout romantisme narratif. Martha Rosler crée des photomontages où elle fait surgir la violence du monde dans l’univers quotidien. Morgan Fischer filme le temps qui passe en posant sa caméra devant une horloge. Jean-Luc Moulène, qui récolte les objets de grève, les présente comme des icônes en les présentant tirées sur cibachrome.

Certains sujets sensibles se diffusent, notamment les limites de la sexualité que scrute Robert Mapplethorpe. Sur ses photos, Glenn Ligon remplace les images par du texte pour montrer ce qui ne peut l’être.

La presse devient aussi un outil, un matériau pour les artistes. Avec ses collages à partir des journaux, Jack Pierson présente un portrait kaléiscopique de James Dean. Sarah Charlesworth détourne les unes du Herald Tribune pour n’en laisser subsister que les photos, donnant soudain une image frappante de la violence du monde. Hans Peter Feldmann collecte les journaux qui suivent les attaques du 11-Septembre, montrant la diffusion universelle d’un événement et d’une façon de le figurer en en réduisant la complexité.

En effet, une distance s’élargit entre la réalité du monde et sa perception. Avec Touching Reality, Thomas Hirschhorn montre comment il est devenu possible de parcourir toutes les horreurs du monde en faisant simplement glisser son doigt sur un écran tactile. En développant son Truth Study Center, Wolfgang Tillmans démonte les "fake news" et le "backfire effect" qui les accompagne, armes de destruction massive de l'intelligence et de l'esprit critique.

Et tout le monde est le témoin de ces évolutions, traversées par Harun Farocki avec son installation Workers leaving the factory in eleven decades (Travailleurs quittant l’usine en onze décennies), depuis la fameuse Sortie des usines Lumière à Lyon, premier film cinématographique de l’histoire jusqu’au Dancer in the dark de Lars Von Trier, en passant par Griffith, Chaplin ou Pasolini. Au-delà des images, montrant un monde qui évolue, le visiteur éprouve physiquement l’évolution des techniques de diffusion. Réalisée en 2006, il y a à peine plus de 10 ans, un siècle dans l'ère du numérique, l’installation vidéo aligne au sol les vieux tubes cathodiques en voie de disparition et non des écrans plasma accrochés désormais dans les musées d’art contemporain avec le même soin que des tableaux précieux.

Jusqu’au 6 janvier. Du jeudi au dimanche, 11 h-18 h. Fondation Luma, parc des ateliers, 45 chemin des Minimes, Arles. Pass Luma 15 €, 10 €.

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