Le Vigan : Le monde, un et pluriel au château d'Assas
Le deuxième volet de “Situation humaniste” réunit des artistes s'intéressant à la relation entre l'homme et la nature au château d’Assas au Vigan, dans le Gard.
Que reste-t-il de la philosophie des Lumières dans le monde contemporain ? Le château d’Assas au Vigan poursuit un cycle d’exposition “Situation humaniste” en s’intéressant au rapport à la nature. Loin de l’émerveillement de Buffon et des cornes de narval des cabinets de curiosité, les esprits ont glissé vers l'inquiétude, l'intranquillité et l’angoisse existentielle. Sans se situer forcément dans une perspective écologiste, les artistes réunis par Laurent Puech évoquent un monde menacé, en multipliant les regards où l’artistique se mélange aux sciences ou au documentaire. L'exposition s'accompagne d'une courte publication avec des interviews des artistes, dont sont extraites les citations de cet article.
Le végétal est au cœur du travail de Séverine Peron. Il y a quelques années, elle a travaillé en résidence au camp de Rivesaltes, pas encore transformé en musée. Dans ce lieu porteur d’une mémoire douloureuse, elle plante des pensées dans les brèches du béton. Sur place, elle a découvert la ronce, devenue l’un de ses matériaux de prédilection. Elle peint les tiges piquantes, les photographie aux côtés des barbelés. Au cœur de l’exposition, elle présente une sculpture impressionnante où les lianes rouges se mélangent au plastique, avec un art à la fois séduisant pour le regard et plein de violence.
Mais l'artiste évite les postures et les leçons : « Je situe en effet les oeuvres d'art au-delà d'un simple débat, davantage dans un éveil sensible et essentiel des sens et de la conscience au travers des formes qu'il génère. Mais cet éveil participe au développement de la conscience collective et peut donc stimuler l'engagement politique. Je ne parle pas spécifiquement d'écologie lorsque j'utilise des végétaux dans mon travail, mais je cherche plutôt à poser un regard spirituel et symbolique sur la Nature avec un grand N ».
Pour élargir le propos, Laurent Puech convoque la pensée d’Alexandre Jianguo An. Après une formation artistique en Chine, il est venu étudier en France où il est devenu paysagiste. À travers ses travaux, il construit l’idée d’une cité éponge, avec des espaces végétaux absorbants pour éviter les débordements et les inondations. Se nourrissant de l’observation des paysages donnant naissance à de fines aquarelles, il construit l’utopie d’un nouveau bien-être, en contact avec les éléments. Fidèle à une vision très asiatique de la relation de l'homme à la planète et au cosmos, il pense la vie dans une forme de communion, de réconciliation. Pour lui, la caractéristique essentielle du paysage réside dans la « coexistence harmonieuse entre tous les êtres. Par une interaction permanente entre les producteurs et les utilisateurs d'espaces paysagers, l'architecte paysagiste intègre en toute liberté la compréhension du dialogue dans la matérialisation de ce projet sociétal. Un échange continu permet d'avancer dans la processus de concrétisation en trouvant une expression artistique, quelque soit le langage et même s'il s'agit d'explorer une langue inconnue. »
Pedro Prazeres n’est pas plasticien non plus, il est danseur et chorégraphe. Après une déambulation filmée sous une ligne haute tension traversant les magnifiques paysages du Jura peints jadis par Courbet, il a livré une performance au Vigan, projetée dans une salle angoissante habillée d'un film plastique remuant, post-apocalyptique où se côtoient des restes de forêts et les vestiges de cette exploration qui vire au cauchemar. Le regard qu'il porte sur le monde multiplie les niveaux de lecture et donc d'analyse et de perception.
« Après mon cursus universitaire, il m'a fallu un certain temps pour réaliser ce que cela signifiait de faire de l'art et surtout de prendre la décision d'en faire, explique l'artiste voyageur qui poursuit un art de la chorégraphie environnementale dans la lignée de Merce Cunningham ou Anna Halprin. Ma formation a fait de moi un universitaire doté d'un esprit scientifique. Ce n'est que récemment que je m'autorise à laisser couler un sang "artistique" dans la bonne veine ! Au lieu de combiner la perception du paysage avec les gestes du travail et de la danse, je les mets en oeuvre tous ensemble en assumant l'intention politique de mon projet. Il existe dans ma recherche des sections qui peuvent être directement reliées à une pensée intellectuelle. Par conséquent, le résultat immédiat qu'elles produisent, se place dans cette ligne. Pourtant c'est à mesure que je m'éloigne de cette méthodologie que j'obtiens les résultats les plus intéressants dans mes créations. »
L’inquiétude est également au cœur du travail de Clément Philippe. Au milieu d’une pièce, il présente une caisse à munitions pleine de grenades à la poudre de bleu de Prusse, ce pigment utilisé par les plus grands au fil de l’histoire de l’art, mais qui sert aussi à décontaminer les terrains pollués. Sur le terrain d’une ancienne mine d’uranium où les veines ont été bouchées par du béton et les collines couvertes d’une nouvelle forêt, il fait exploser les grenades, dispersant sa couleur au milieu d’un paysage qui cache ses secrets toxiques.
L'artiste frappe fort et en même temps, grâce à la poésie, livre un art tout en nuances. « Les pièces que je propose au regard ne se veulent ni prémonitoires, ni péremptoires. Au contraire, je les espère comme des bornes desquelles peuvent partir une infinité de possibilités narratives ou discursives », explique Clément Philippe. C'est exactement ce qui se produit avec les étranges paysages fumants dessinés dans des cartes à gratter ou les blocs dans lesquels, grâce à une mystérieuse chimie, il accélère le processus de cristallisation pour des oeuvres à la magie inquiétante. « J'aime assez que la forme qui est donnée à voir puisse avoir une lecture sensiblement différente en fonction de l'individu qui amène sa subjectivité, son histoire et ses fêlures ».
Jusqu’au 22 février. Lundi au vendredi, 10 h 30-12 h et 14 h-17 h. Château d’Assas, 11 rue des Barris, Le Vigan. Entrée libre. 04 99 64 26 62.