Sophie Calle, la mort et la mémoire au présent
Que faites-vous de vos morts ? Un livre bouleversant de Sophie Calle chez Actes Sud.
La question de la mémoire est au cœur du travail de l’artiste Sophie Calle, qui sera à l’affiche en ce début d'année avec cinq expositions simultanées à Marseille. Parallèlement, paraît chez Actes Sud un livre bouleversant et comme toujours, formidablement édité. Sous une couverture tissée grise, l'artiste dévoile un travail à la profonde humanité, où comme souvent dans ses projets s'entrecroisent la sensibilité et l'intimité, la biographie et la participation.
L’artiste n'a pas peur des cimetières, elle a grandi près du Montparnasse qu'elle fréquentait régulièrement. Elle cultive depuis longtemps un intérêt pour ces lieux comme en témoigne par exemple les tombeaux pour les secrets réalisée pour le château La Coste près d’Aix-en-Provence ou pour des cimetières de Brooklyn ou Genève. Depuis longtemps, elle a photographié des tombes, notamment ces étranges carrés américains où les pierres ne portent pas de nom, mais le lien de famille avec le propriétaire de la concession : father, mother, daughter...
Ce nouveau projet est né de sa récente exposition "Beau Doublé M. Le Marquis" au musée de la Chasse à Paris. Dans le livre d’or, elle invitait les visiteurs à répondre à la question « Que faites-vous de vos morts ? », le titre de nouvel opus où elle mélange ses photos de tombe, dans noir et blanc estompé, plein de douceur et de nostalgie et les réponses manuscrites des visiteurs. Avec son verbe précis, Sophie Calle raconte aussi les animaux empaillés qui portent les prénoms de ses proches disparus, la mort de sa mère et de son père, ses photos au cimetière de Bolinas, Californie où elle a acheté une concession....
En regard, viennent les mots des visiteurs. Certains dessinent, d'autres écrivent quelques mots ou se racontent, livrant une multitude de regard sur le deuil, la souffrance, la résilience.
Tous les registres se croisent.
Le règlement de compte : « Je les déteste encore plus que quand ils étaient vivants !! Il n'y a pas de solution. »
L'humour : « Je les transforme en mot de passe, à ma grand-mère : MARGOT3006. »
L'incompréhension : « Je n'ai qu'un mort dans mon répertoire (autant que je sache). Parfois je regarde son contact et je repense à ce suicide mystérieux. Je ne l'effacerai que quand je saurai. »
La contestation : « Pas de l'art ! »
La sérénité : « Je m'en rapproche, lentement j'espère... »
La douleur perpétuelle : « J'avais 4 ans, ma mère a refusé que j'aille à l'enterrement de mon père. J'ai 51 ans, j'y pense tous les jours. »
Ou encore cette jolie anecdote qui en dit long : « Pendant longtemps, j'ai lu les résumés des épisodes de Santa Barbara sur la tombe de ma grand-mère car elle adorait cette série. Maintenant la série s'est arrêtée, c'est triste. »
Certains prolongent le questionnement de l'artiste : « Que faites vous de vos amours ? » Ou bien tout simplement : « Et vous ? » Sophie Calle a décidé de faire de la vie - et donc de la mort - de l’art.
Que faites-vous de vos morts ? de Sophie Calle. Editions Actes Sud. 272 pages. 32,50 €.