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"Le folk et le chaâbi, deux musiques populaires"


Après plusieurs albums autour de l'héritage des cultures arabo-andalouses, la chanteuse Souad Massi est de retour avec le projet Ya Dra, où elle renoue avec ses racines folk.

Qu'est ce que vous écoutiez quand vous avez 15 ans ?

Oh la la, j'essaie de me souvenir... J'écoutais Kenny Rogers depuis que j'étais toute petite. J'écoutais du folk. J'adorais la musique classique, je rêvais d'en faire. J'ai pris quelques cours à l'association des Beaux-arts d'Alger, puis j'ai pris un autre chemin. Plus tard, j'ai écouté du rock, du hard rock.

Comment s'est passé ce retour à la musique folk ?

Dans mon univers musical, la guitare a toujours été présente. Le folk est toujours là. J'ai pris cette musique comme base pour mes compositions et je me suis permis des évolutions vers d'autres sonorités, plutôt venues des musiques du monde.

Comment est née cette envie ?

Ces dernières années, j'ai travaillé au Moyen-Orient avec des orchestres classiques. C'était une belle expérience, j'ai adoré ça. Mais le folk me manquait énormément et je composais dans ce sens.

C'est de la nostalgie ?

La nostalgie m'habite, consciemment ou inconsciemment. Elle apparaît dans mes chansons, notamment dans les mélodies. Mais elle n'est pas aussi prononcée que dans mes précédents albums.

Quel lien faites-vous entre le chaâbi et le folk ?

Chaâbi signifie populaire, le folk, c'est la même chose. C'est une personne avec sa guitare qui raconte ses galères, ses peines d'amour, ses espoirs et ses désespoirs. J'avais envie de créer un pont entre ces deux cultures. Les formes sont différentes, mais le fond est le même. Ce sont des vraies histoires humaines qui sont racontées et accompagnées par des musiques qui touche tout le monde.

Vous dites que ce projet est plus intime que les précédents. Pourquoi ?

Mon dernier album El Mutakallimûn (Les orateurs) rendait hommage à la poésie arabe. Je prête ma voix aux grands poètes. C'était une expérience très difficile de composer pour d'autres personnes, même s'ils n'existent plus et ne peuvent pas me critiquer. Quand je travaillais sur le texte d'un auteur du VIe siècle, j'imaginais sa tête en entendant des sonorités jazz ou reggae.

Ce nouveau projet est plus intime, je raconte ma vie, mes expériences personnelles et celles de mon entourage. Quand j'étais jeune, ça me gênait énormément. Aujourd'hui, avec l'âge et la maturité, ce n'est plus le cas. Me mettre à nu n'est pas facile, mais c'est mon métier. Je raconte des histoires vraies dans lesquelles les gens peuvent se retrouver. Ça me touche, ça m'intimide parfois de rencontrer des personnes qui dans d'autres espaces partagent ces expériences.

Vous parlez beaucoup de la situation des femmes...

Au début de ma carrière, je ne voulais pas parler des femmes, j'avais envie de parler de l'humain, sans faire de différence. Mais je me suis rendue compte qu'il y avait une triste réalité et pas seulement dans le monde arabe. Je suis la marraine de l'association Fond pour les femmes en Méditerranée. Il y a beaucoup de problèmes en Europe. En France aussi. J'étais étonnée par les violences conjugales. Avec mes outils, mes mots, je voulais mettre la lumière là-dessus, dénoncer les inégalités, les injustices, les violences, les différences.

Mais il y a aussi des chansons d'amour, on en a besoin !

Comment voyez-vous la jeunesse algérienne d'aujourd'hui ?

Cela me fait de la peine. J'imagine leur désarroi, leur désespoir, j'ai vécu cette sensation d'être perdue, l'impression que personne ne peut te comprendre ou te tendre la main. Le président est malade et on ne sait pas ce qui se passe au gouvernement. Il n'y a aucune vision claire, ni sur le présent, ni pour l'avenir. Cela fait peur à tout le monde, pas seulement à la jeunesse. Tout le monde est dans la même situation.

Comment expliquez-vous que l'Algérie se soit tenue à l'écart des printemps arabes ?

Je pense que nous, Algériens, sommes toujours traumatisés par la guerre civile. Les Algériens ont été très réticents car ils ont déjà vécu les soulèvements. Et tant mieux... Quand on voit les résultats, qu'est-ce qu'il en reste ? Pas une vraie démocratie. La Libye est dans un chaos total. Cela ne veut pas dire que j'adhérais aux politiques des anciens dictateurs. Mais ce n'est pas un vrai printemps. Il faut encore attendre une certaine conscience collective pour dégager tous les oppresseurs.

Dans vos précédents projets, vous avez célébré la poésie arabe ou l'époque des Lumières à Cordoue. Comment se porte cette pensée ?

Les gens qui sont lettrés, qui s'intéressent au monde, qui voyagent sont conscients des bienfaits de cette culture, de l'héritage des grands chercheurs en médecine, en mathématique, en physique. Ce qui reste c'est la beauté de cette culture, la belle architecture d'une ville comme Cordoue, des livres, de la poésie... C'est ce que je voulais partager, faire revivre.

Cette culture est vivante pour ceux qui lisent. Mais dans le monde arabe, il y a aussi une course vers le superficiel. Malheureusement, beaucoup se foutent de l'art, de la culture et de la beauté. Ils préfèrent construire la tour la plus haute ou acheter la plus grosse voiture. On est loin de l'esprit des Lumières...

Vous vous sentez ambassadrice de ces Lumières ?

Je n'ai pas envie de prendre ce titre. Il est trop lourd. Je suis une artiste, j'aime certaines choses et j'ai envie de les partager, tout simplement.

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