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Sète : les mondes abstraits et sensibles de Laura Lamiel


Fascinante exposition de l'artiste Laura Lamiel au Centre régional d'art contemporain de Sète.

Difficile d'évoquer l'intensité des émotions que provoque l'éblouissante exposition de Laura Lamiel, actuellement au Centre régional d'art contemporain de Sète. L'art de Laura Lamiel demande du temps, du silence et... probablement de la solitude. Ayant visité l'exposition un lundi à 13 heures, j'ai eu le centre d'art pour moi tout seul pendant une heure ! Moment de magie absolue tant l'art de Laura Lamiel relève de l'expérience intime et personnelle, par son mélange d'ampleur spectaculaire et de sens du détail infime.

La présentation exceptionnelle, première proposition de la nouvelle direction de l'établissement, est d'une force et d'une beauté stupéfiantes. Avec "Les Yeux de W", Laura Lamiel crée une succession d'espaces, de paysages abstraits, faits de reflets, de transparences, de souterrains, de secrets, de perceptions troublées. Mais elle ne se contente pas de jouer, elle invite à pénétrer un monde parallèle et sensible et qui accepte de la suivre, trouvera un bonheur inouï...

Dès la première salle, il faut enfiler des sur-chaussures pour marcher sur un faux plancher surélevé. Dans le sol, de larges ouvertures plongent vers des univers étranges, comme des fenêtres de fouilles archéologiques. Un premier carré rouge cuivre, un deuxième noir asphalte, un autre simplement charpenté, d'autres tracés, suggérés, éclairés par des néons. La proposition n'est pas uniquement intrigante. D'emblée, Laura Lamiel déploie son vocabulaire plastique, ses chausses-trappes, ses formes où la pureté géométrique est pleine de l'absence de la figure humaine. Passé ? Présent ? Futur ? Traces d'un passage de l'homme ? Construction inachevée ? Abandonnée ? Voici des livres, des chaussures, des vieux papiers, des valises, un mégot, des gants, voici L'Espace du dedans... Dans la vaste salle au format majestueux, Laura Lamiel oblige à baisser les yeux, à regarder vers le sol, sous le sol pour découvrir un monde qui se poursuit sous les pieds des visiteurs.


Dans les salles suivantes, Laura Lamiel présente une série de cellules, oeuvres toujours à échelle humaine, mais où le regard s'égare. L'installation Les Yeux de W qui donne son nom à l'exposition montre toute la richesse de la réflexion de la plasticienne, avec ses jeux de miroir sans tain, ses vrais reflets, ses faux doubles. Dans une vitre, un trou, une cigarette comme dans Un chant d'amour de Jean Genet, car le souffle de l'homme, sa respiration, ses murmures sont toujours là dans ces espaces construits précision. Le tout est curieusement d'une fragilité extrême et d'une puissance frappante. Laura Lamiel se situe en permanence dans cet équilibre subtil avec des oeuvres qui mobilisent le regard, le corps, les sens.

Avec Passageway, il faut traverser une cellule pour découvrir un nouvel environnement, aux formes évoquant l'art minimal. Dans cette géométrie revisitant la sérialité, Laura Lamiel livre une partition délicate avec les matières pour un rythme curieux entre surfaces froides et chaudes, brillantes ou opaques. Entre installation et sculptures, les cellules suivantes, aux dominantes blanches et lumineuses, apparaissent comme des environnements intimes.

Pour Ozô, elle pose au sol un tapis d'encens à l'odeur douce et des objets en laiton, traçant un paysage abstrait à la couleur ocre. Comme dans L'Espace du dedans, Laura Lamiel suggère de baisser le regard pour découvrir une installation où les traces du passage de l'homme intriguent. S'agit-il d'objets surgissant du passé, sortis de l'oubli ou de bribes de vie tout juste déposées ? L'artiste n'est jamais dans l'affirmation, elle suggère, interroge, toujours avec fragilité.

En art contemporain, l'idée de cellule évoque spontanément Louise Bourgeois. Mais les cellules de Laura Lamiel sont impénétrables, inhabitables, l'artiste ne convoque pas le visiteur pour le plonger dans son inconscient mais elle propose au visiteur d'interroger ses propres perceptions. C'est à l'étage du Centre régional d'art contemporain qu'un dialogue peut se nouer avec l'art de Louise Bourgeois, d'abord avec l'arrivée du rouge, du rouge de la chair, du rouge du sang, de la présence de la mort. Sur les tables Forclose, ce ne sont plus de fragiles chemises blanches qui flottent sur les dossier des chaises, certaines sont figées dans la peinture blanches, d'autres se réduisent à des cols coupés, comme ceux des condamnés qui marchent vers la guillotine... Une fois encore, Laura Lamiel invite à baisser le regard. Sur les tables, sont posés des livres blancs, sans un mot. Sous les tables, des miroirs reflètent des dessins et le regard plonge vers un monde sensible, où l'organique dialogue avec les formes conceptuelles.

« Je suis loin d'être expressionniste, explique l'artiste, et ça ne m'intéressait pas de penser directement la violence, mais plutôt de la contourner et la montrer dans un reflet. A partir du moment où il s'agissait d'un reflet, où j'avais acquis un certaine distance, j'ai lâché et déchaîné certaines fulgurances, par sursauts parfois violents. Ce "fil" de pensée, comme ces vrais fils qui pendent des tables de Forclose, m'a permis d'arriver aux dessins représentant des bouches et des langues ».

En effet, aux murs, Laura Lamiel accroche une récente série de dessins, dans le même chromatisme carmin et ouvrant une esthétique plus expressive, plus organique. « Dans le langage psychanalytique, rappelle le guide de visite de l'exposition, la forclusion est un terme utilisé par Jacques Lacan pour désigner le mécanisme de défense propre à la psychose ».

Cet esprit d'ouverture se matérialise dans la dernière salle de l'exposition, comme des points de suspension vers d'autres projets. Popote se présente comme un atelier de stockage, barre de bois, vitres, planches, debout contre les murs et dans la structure structure centrale. Comme une plongée dans le processus de création de Laura Lamiel, comme un avenir incertain...


Jusqu'au 19 mai 2019. Lundi, mercredi, jeudi, vendredi, 12 h 30-19 h. Samedi, dimanche, 14 h-19 h. Centre régional d'art contemporain, 26 quai Aspirant-Herber, Sète. Entrée libre. 04 67 74 94 37.

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