Sur la piste... Le cimetière marin à Sète, "ce toit tranquille où marchent les colombes"
Visite au Cimetière marin de Sète, célébré par l'écrivain Paul Valéry.
Plongeant vers la Méditerranée et le golfe du Lion, blotti au pied des premières pentes du mont Saint-Clair, le cimetière marin de Sète, « ce toit tranquille où marchent les colombes », est un lieu fascinant, définitivement entré dans le patrimoine littéraire universel grâce aux strophes de Paul Valéry, poète né à Sète en 1871 et qui y a trouvé une dernière demeure en 1945.
Cette dernière ville des morts n'est pas un cimetière comme les autres. Au petit matin, les silhouettes courbées qui viennent se recueillir se mêlent étrangement aux crêtes hérissées des pierres tombales. Quand souffle le vent marin, les embruns viennent se poser sur le cimetière. En été, sous le soleil de midi le juste, les lieux prennent une blancheur écrasante...
Les sculptures succèdent aux colonnades et aux chapelles. Cimetière des riches, le marin est d'une noblesse presque arrogante. Même dans la mort, on reste entre soi. Le quartier où est enterré le poète Paul Valéry est celui de la vieille bourgeoisie locale, dominant la mer et le reste du cimetière. Plus loin, se trouve également la tombe du metteur en scène Jean Vilar.
Certains tombeaux sont de véritables chefs-d'oeuvre de la sculpture, dans ces allées pleines de légendes et des petites histoires. L'une des sépultures les plus célèbres est celle de la jeune Marie-Rose. La jeune fille est morte à l'âge de 16 ans en 1919. La famille effondrée a mis toute sa fortune dans cette tombe en marbre blanc de Carrare.
Egalement remarquables, le tombeau des pleureuses ou un sarcophage imitant le sarcophage de Napoléon aux Invalides...
Connu d'abord sous le nom de cimetière Saint-Charles, les premières tombes y sont installées à la fin du XVIIe siècle. Accompagné d'une petite église aujourd'hui disparue, il occupait alors une infime partie de son périmètre actuel. Actuellement, il compte plus de 3 000 concessions à perpétuité.
Peu à peu, la ville a ouvert d'autres cimetières, notamment celui du Py, sur les rives de l'étang de Thau, où est enterré Georges Brassens, faute d'avoir pu trouver « de petit trou moelleux » dans le sable.
Dans sa Supplique pour être enterré sur la plage de Sète, le chanteur évoque son glorieux aîné :
"Déférence gardée envers Paul Valéry, Moi, l'humble troubadour, sur lui je renchéris, Le bon maître me le pardonne, Et qu'au moins, si ses vers valent mieux que les miens, Mon cimetière soit plus marin que le sien."
Ce n'est qu'en 1945 que le cimetière Saint-Charles, après la mort de Paul Valéry, adopte le nom de cimetière marin, d'après le poème le plus célèbre de l'écrivain, vingt-quatre sizains publiés d'abord en revue en 1920, puis dans le recueil Charmes en 1922. Méditation métaphysique, célébrant les noces du corps, de l'esprit et de la mer, le poème est le plus célèbre de son auteur. On a oublié un peu aujourd'hui, la place qu'avait Paul Valéry à l'époque, membre de l'Académie française qui avait eu droit à des obsèques nationales.
Voici les 246 vers du Cimetière marin et quelques photos de ce lieu magique...
"Ce toit tranquille, où marchent des colombes,
Entre les pins palpite, entre les tombes ; Midi le juste y compose de feux La mer, la mer, toujours recommencée ! Ô récompense après une pensée Qu’un long regard sur le calme des dieux !
Quel pur travail de fins éclairs consume Maint diamant d’imperceptible écume, Et quelle paix semble se concevoir ! Quand sur l’abîme un soleil se repose, Ouvrages purs d’une éternelle cause, Le Temps scintille et le Songe est savoir.
Stable trésor, temple simple à Minerve, Masse de calme et visible réserve, Eau sourcilleuse, Œil qui gardes en toi Tant de sommeil sous un voile de flamme, Ô mon silence !… Édifice dans l’âme, Mais comble d’or aux mille tuiles, Toit !
Temple du Temps, qu’un seul soupir résume, À ce point pur je monte et m’accoutume, Tout entouré de mon regard marin ; Et comme aux dieux mon offrande suprême, La scintillation sereine sème Sur l’altitude un dédain souverain.
Comme le fruit se fond en jouissance, Comme en délice il change son absence Dans une bouche où sa forme se meurt, Je hume ici ma future fumée, Et le ciel chante à l’âme consumée Le changement des rives en rumeur.
Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change ! Après tant d’orgueil, après tant d’étrange Oisiveté, mais pleine de pouvoir, Je m’abandonne à ce brillant espace, Sur les maisons des morts mon ombre passe
Qui m’apprivoise à son frêle mouvoir.
L’âme exposée aux torches du solstice, Je te soutiens, admirable justice De la lumière aux armes sans pitié ! Je te rends pure à ta place première, Regarde-toi !… Mais rendre la lumière Suppose d’ombre une morne moitié.
Ô pour moi seul, à moi seul, en moi-même, Auprès d’un cœur, aux sources du poème, Entre le vide et l’événement pur, J’attends l’écho de ma grandeur interne, Amère, sombre, et sonore citerne, Sonnant dans l’âme un creux toujours futur !
Sais-tu, fausse captive des feuillages, Golfe mangeur de ces maigres grillages, Sur mes yeux clos, secrets éblouissants, Quel corps me traîne à sa fin paresseuse, Quel front m’attire à cette terre osseuse ? Une étincelle y pense à mes absents.
Fermé, sacré, plein d’un feu sans matière, Fragment terrestre offert à la lumière, Ce lieu me plaît, dominé de flambeaux, Composé d’or, de pierre et d’arbres sombres, Où tant de marbre est tremblant sur tant d’ombres ; La mer fidèle y dort sur mes tombeaux !
Chienne splendide, écarte l’idolâtre ! Quand solitaire au sourire de pâtre, Je pais longtemps, moutons mystérieux, Le blanc troupeau de mes tranquilles tombes, Éloignes-en les prudentes colombes, Les songes vains, les anges curieux !
Ici venu, l’avenir est paresse. L’insecte net gratte la sécheresse ; Tout est brûlé, défait, reçu dans l’air À je ne sais quelle sévère essence… La vie est vaste, étant ivre d’absence, Et l’amertume est douce, et l’esprit clair.
Les morts cachés sont bien dans cette terre Qui les réchauffe et sèche leur mystère. Midi là-haut, Midi sans mouvement En soi se pense et convient à soi-même… Tête complète et parfait diadème, Je suis en toi le secret changement.
Tu n’as que moi pour contenir tes craintes ! Mes repentirs, mes doutes, mes contraintes Sont le défaut de ton grand diamant… Mais dans leur nuit toute lourde de marbres, Un peuple vague aux racines des arbres A pris déjà ton parti lentement.
Ils ont fondu dans une absence épaisse, L’argile rouge a bu la blanche espèce, Le don de vivre a passé dans les fleurs ! Où sont des morts les phrases familières, L’art personnel, les âmes singulières ? La larve file où se formaient les pleurs.
Les cris aigus des filles chatouillées, Les yeux, les dents, les paupières mouillées, Le sein charmant qui joue avec le feu, Le sang qui brille aux lèvres qui se rendent, Les derniers dons, les doigts qui les défendent, Tout va sous terre et rentre dans le jeu !
Et vous, grande âme, espérez-vous un songe Qui n’aura plus ces couleurs de mensonge Qu’aux yeux de chair l’onde et l’or font ici ? Chanterez-vous quand serez vaporeuse ? Allez ! Tout fuit ! Ma présence est poreuse, La sainte impatience meurt aussi !
Maigre immortalité noire et dorée,
Consolatrice affreusement laurée, Qui de la mort fais un sein maternel, Le beau mensonge et la pieuse ruse ! Qui ne connaît, et qui ne les refuse, Ce crâne vide et ce rire éternel !
Pères profonds, têtes inhabitées, Qui sous le poids de tant de pelletées, Êtes la terre et confondez nos pas, Le vrai rongeur, le ver irréfutable N’est point pour vous qui dormez sous la table, Il vit de vie, il ne me quitte pas !
Amour, peut-être, ou de moi-même haine ? Sa dent secrète est de moi si prochaine Que tous les noms lui peuvent convenir ! Qu’importe ! Il voit, il veut, il songe, il touche ! Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche, À ce vivant je vis d’appartenir !
Zénon ! Cruel Zénon ! Zénon d’Élée !
M’as-tu percé de cette flèche ailée Qui vibre, vole, et qui ne vole pas ! Le son m’enfante et la flèche me tue ! Ah ! le soleil… Quelle ombre de tortue Pour l’âme, Achille immobile à grands pas !
Non, non !… Debout ! Dans l’ère successive ! Brisez, mon corps, cette forme pensive ! Buvez, mon sein, la naissance du vent ! Une fraîcheur, de la mer exhalée, Me rend mon âme… Ô puissance salée ! Courons à l’onde en rejaillir vivant !
Oui ! Grande mer de délires douée, Peau de panthère et chlamyde trouée, De mille et mille idoles du soleil, Hydre absolue, ivre de ta chair bleue, Qui te remords l’étincelante queue Dans un tumulte au silence pareil,
Le vent se lève !… Il faut tenter de vivre ! L’air immense ouvre et referme mon livre, La vague en poudre ose jaillir des rocs ! Envolez-vous, pages tout éblouies ! Rompez, vagues ! Rompez d’eaux réjouies Ce toit tranquille où picoraient des focs !