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Nîmes : l'Histoire en fragments de Rayyane Tabet à Carré d'art


L'artiste libanais Rayyane Tabet utilise l'archéologie pour une réflexion sur le présent à travers une exposition passionnante à Carré d'art à Nîmes.

« Je n’ai pas voulu entrer par la porte, ni par la fenêtre. J’ai cherché la fissure dans le mur et je suis entré par là », explique l’artiste libanais Rayyane Tabet qui présente l’exposition “Fragments” au musée Carré d’art à Nîmes. Comme beaucoup d’artistes contemporains en ce moment, le plasticien utilise le « détour de l’archéologie pour parler du présent », pour parler de l’histoire du monde et de sa propre histoire. Un récit court de salle en salle, pour accompagner les pièces, souvent spectaculaires issues de cette recherche au long cours autour des fouilles de Max von Oppenheim sur le site de Tell Halef, au début du XXe siècle, à la frontière actuelle entre la Syrie et la Turquie. En octobre prochain, l'exposition sera présentée au Metropolitan à New York.

« Enfant, j’avais l’habitude de déjeuner un dimanche sur deux chez mes grands-parents maternels. Ils habitaient dans un appartement froid et spacieux, et montraient leur affection avec une grande réserve ; je passais le plus clair de mon temps assis dans un fauteuil. De là, je pouvais voir la photo d’un homme à l’expression sérieuse, accrochée sur le mur, ainsi qu’un livre jaune vif, empilé parmi d’autres sur une étagère ». Ainsi commence le récit, qui donne lieu à la performance Dear Victoria, lecture du texte par l'artiste qui a eu lieu notamment le jour du vernissage… La photo en question est celle de l’archéologue allemand ; le livre, celui qu’il a publié au sujet de ses fouilles. Si ces objets se trouvaient chez ses grands-parents, c’est que l’arrière-grand-père de l’artiste était l’interprète de l’archéologue qui faisait aussi dans l’espionnage. Et l’aïeul ne se contentait pas de traduire, il espionnait également l’espion, soupçonné de vouloir soulever les tribus bédouines contre le mandat français.

À partir de là, Rayyane Tabet se livre à une enquête pour démêler les fils de cette curieuse histoire, pleine de rebondissements et significative des tourments du monde et du Moyen-Orient au XXe siècle. Mais aussi du présent, puisqu’au début de la guerre de Syrie, le site antique a été enterré par les habitants du village voisin pour le protéger, en attendant des jours meilleurs…

À travers les pièces qui accompagnent le récit, les problématiques se superposent, les questions coloniales, la mémoire, les rapports des civilisations, la conservation et la restauration des biens culturels. On dit souvent que « les vestiges sont plus en sécurité dans les musées occidentaux, mais une partie a été détruite à Berlin ».


En partant à travers le monde, dans les musées de Pergame en Allemagne, au Metropolitan de New York, au Louvre ou à Baltimore, Rayyane Tabet évoque les disparitions, les dispersions, les partages, les mystères qui accompagnent ces vestiges… Car les objets découverts par l’archéologue ont aussi subi un sort romanesque. « Le 22 novembre 1943, le Musée de Tell Halaf à Berlin est frappé d’une bombe au phosphore. Avec des températures excédant les 1 000 degrés Celsius, toutes les pièces sont détruites à l’exception de celles sculptées dans le basalte, une roche volcanique pouvant résister à des degrés de chaleur très élevés. À l’arrivée des pompiers, le choc thermique entre la roche brûlante et l’eau froide cause la destruction des pièces restantes ». La guerre froide bloque ensuite toute restauration…

« Le projet de reconstruction commence en 2001. Quelque 27 000 fragments de basalte sont disposés sur 200 palettes de bois. En 2011, 25 000 fragments sont réassemblés pour former trente sculptures et éléments architecturaux. Toutefois les fissures restent visibles, volontairement exposées, et le verre fondu provenant du plafond du musée de Tell Halaf est conservé à la surface des pièces ». L’histoire est édifiante, elle donne lieu à une pièce spectaculaire, Basalt Shards où par frottage l’artiste reproduit les fragments non-identifiés, à la fois symboles de la destruction et possibles formes nouvelles…

La série Orthostates relève de la même démarche. Durant sa mission initiale en 1911, Max von Oppenheim a découvert un immense bas-relief formé de 194 morceaux de basalte et de calcaire. Les portions sont aujourd’hui éparpillées à travers le monde et Rayyane Tabet a entrepris le relevé des sculptures restantes, rassemblant en une pièce contemporaine les œuvres conservées entre l’Europe, l’Amérique du Nord et la Syrie, où il espère se rendre un jour pour continuer sa série au musée d’Alep.

Avec Ah, my beautiful Venus !, Rayyane Tabet évoque la statue la plus emblématique trouvée sur place. Sur des dalles de basalte, pesant 6,50 tonnes, soit le poids de la statue originale, il dispose des moulages en papier d’aluminium, de façon fragmentée, réalisés à partir du moulage ayant servi aux conservateurs pour restaurer la statue.

À ces évocations, Rayyane Tabet mélange l’histoire de sa famille pour une réflexion plus personnelle. Parallèlement à quelques objets intimes, il s'empare, avec Genealogy, de l’histoire d’un tapis ayant appartenu à son grand-père, transmis et partagé de génération en génération. Dans une forme rappelant l'arbre généalogique, il rassemble les différentes pièces du tapis, coupé en deux à chaque transmission. Les portions, restées dans la famille, sont remplacées par leurs fantômes. Car le fameux tapis, vestige lui-aussi d'une histoire, est dispersé comme les antiques de Tell Halaf...

Il évoque aussi une histoire insolite avec les tentes militaires que construisaient les soldats en Orient à partir de manteaux pouvant se transformer en abris. La technique est au départ celle des nomades, elle a été adaptée ensuite par les militaires avec de savants assemblages possibles pour construire des tentes pour plusieurs personnes. Les tissus font échos aux recherches de Max von Oppenheim sur place, qui s'est aussi intéressé aux tribus bédouines au sujet desquelles il a publié une volumineuse monographie en quatre volumes, en notant notamment les mouvements de population des nomades, en fonction des saisons.

L’exposition s’achève avec les derniers mots d’une lettre de Max von Oppenheim envoyée à l’un des conservateurs du musée de Pergame, peu avant son décès. La missive s’achève par cette adresse : « Kopf Hoch ! Mut Hoch ! Und humor Hoch ! », soit « Ressaisis-toi ! Bonne chance et garde le sourire ! ». En 2009, la société Mont-Blanc, installée à Hambourg, a édité un stylo en l’honneur de l’archéologue, issu d’une grande famille de banquiers allemands, dans sa collection “Patrons of art”. Rayyane Tabet l’utilise pour reproduire le mot d’ordre de Max von Oppenheim sur une grande bannière. L’artiste n’utilise pas seulement le passé pour évoquer le présent. Cette devise est aussi une forme d’espoir pour regarder l'avenir incertain, en Orient comme ailleurs...

Jusqu'au 22 septembre. Mardi au dimanche, 10 h-18 h. Carré d'art, place de la Maison-Carrée, Nîmes. 8 €, réduit 6 €. 04 66 76 35 70.

 

Royaumes oubliés, de l'empire hittite aux Araméens, au Louvre

Parallèlement à l'exposition nîmoise, le Louvre à Paris accueille une exposition consacrée à l’empire hittite, grande puissance rivale de l’Égypte antique, qui domina l’Anatolie et étendit son influence sur le Levant, jusqu’aux alentours de 1200 av. J.-C. La présentation invite à redécouvrir les sites mythiques de cette civilisation oubliée dont les vestiges majestueux du site de Tell Halaf. Le Louvre s’est fortement engagé dans une mission de préservation de ce patrimoine en péril, notamment en participant à la création, en 2017, de l'Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflits. Jusqu'au 12 août.

A noter qu'à l'automne prochain, "Fragments" de Rayyane sera présentée au Metropolitan museum à New York dans le cadre de l'exposition "Alien Property". Du 30 octobre 2019 au 23 février 2020.

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