Alain Cavalier, être vivant et le filmer
Dans "Être vivant et le savoir", le réalisateur Alain Cavalier rend hommage à son amie, l'écrivaine Emmanuèle Bernheim.
Comme chez Agnès Varda ou Jean-Luc Godard, il y a dans les films d'Alain Cavalier quelque chose qui dépasse le cinéma. Avec sa petite caméra numérique, hors des grands circuits, il construit une oeuvre plastique, documentaire et autobiographique, bouleversante et passionnante, qui pourrait aussi bien trouver sa place dans un musée d'art contemporain que dans les salles obscures.
Son dernier film, Être vivant et le savoir évoque son amitié avec Emmanuèle Bernheim et la mort de son amie disparue en 2017. Ensemble, ils devaient faire un film autour de son livre Tout s'est bien passé où l'écrivaine raconte l'euthanasie de son père hémiplégique. Mais les artistes sont obligés de mettre le projet entre parenthèses quand Emmanuèle Bernheim se découvre atteinte d'un cancer. Le film bascule.
Avec une infinie délicatesse, Alain Cavalier plante le décor avant de filmer enfin le beau visage d'Emmanuèle Bernheim, la tête couverte d'un foulard, dégustant une glace à la réglisse. Il raconte leur histoire d'amitié avec son étrange voix traînante, filmant ses pérégrinations, les appels téléphoniques, la création à l'oeuvre, les menus gestes qui font la vie de tous les jours et toute une série de natures mortes, dans des clairs-obscurs impressionnants par un mélange de simplicité et de préciosité. La statue d'un Christ héritée de son père, les mains d'un antiquaire réparant un crucifix, des courges pourrissantes, des feuilles sèches, un pigeon souffrant... Les images d'Alain Cavalier sont des tableaux, des memento mori mis en scène et filmés par un artiste hanté par la mort, mais tellement vivant. Nourri par l'histoire de l'art, le "filmeur" octogénaire regarde et montre la vie qui va et la vie qui s'en va, dressant un autel à la mémoire de son amie disparue, avec une humanité désarmante.