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Avec "l'autoportrait vivant" de Francis Bacon


Dans "Avec Bacon", chez Gallimard, Franck Maubert évoque ses rencontres avec le génie de la peinture moderne Francis Bacon.

Exposition Francis Bacon/Bruce Nauman, face à face, musée Fabre, Montpellier, 2017.

Francis Bacon incarne à sa manière l'un des derniers grands peintres. Franck Maubert, journaliste et essayiste, l'a rencontré à plusieurs reprises dans les années 1980 et revient sur cette histoire avec un petit livre délicieux, même si le mot peut sembler inapproprié face à la cruauté de l'art du peintre britannique qui n'a jamais rien de charmant. Sobrement intitulé Avec Bacon, le témoignage, dans la blanche de Gallimard, s'approche au plus près de l'art et de l'homme.

Franck Maubert a découvert la peinture de Francis Bacon grâce au film Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci. Un choc. Dès lors, la fascination va aller grandissante. Et quand il devient journaliste à L'Express, il cherche à la rencontrer. Refus. Refus. Refus. Mais il insiste. Il a bien fait... Un jour de juillet 1979, à sept heures du matin, il pousse la porte laissée entrouverte du 7, Reece Mews, dans le sud de Kensigton, à Londres.

Première rencontre d'une série à la fois intellectuelles et amicales, avec un artiste réputé sauvage. Costume so british, l'homme sent l'eau de Cologne et l'essence de térébenthine, il parle un français impeccable. « Un autoportrait vivant », tant l'homme et l'oeuvre ne font qu'un. Et miracle de ce premier rendez-vous, le reclus ouvre au jeune Français la porte de son atelier, éclairé par une ampoule accrochée à un fil électrique. « Jamais rien vu de tel. Un autre théâtre. La vision est plus forte que ce j'avais imaginé et vu ou lu. Il nous faut marcher sur un tas de compost, magma de débris divers, sédiment épais de matières accumulées jour après jour depuis des années. Il y a de tout, des pages de journaux froissées, des photos piétinées, des chiffons, des livres ouverts, certains en lambeaux, en vrac, de petits pots en verre avec des pinceaux plantés dans des agglomérats de peinture séchée, quelques toiles retournées posées au sol, des images épinglées aux murs, la porte maculée de traces de couleurs, là où il essuie ses pinceaux, sa palette en quelque sorte... »

Ce capharnaüm est légendaire et entretenu comme tel. L'antre a depuis été reconstitué, au millimètre près, à la Hugh Lane Municipal Gallery de Dublin. Il y peint en récoltant de la poussière au sol ou en essuyant la couleur avec une vieille chaussette. « Nous nous déplaçons dans l'atelier comme sur un champ de bataille encore chaud où l'on craint de retrouver un corps, un de ceux peints par Bacon, figés, immobilisés dans une violence latente, chair et peau saisis dans une crampe de muscle », se souvient l'auteur.

Exposition Francis Bacon/Bruce Nauman, face à face, musée Fabre, Montpellier, 2017.

Franck Maubert suit ensuite Bacon dans les nuits londoniennes, où tout le monde connaît ses manières d'alcoolique provocateur. Ils croisent le tignasse peroxydée de David Hockney. « De dos, il ressemble à un homme ordinaire, nul ne peut songer qu'il s'agit du grand Bacon, celui qui dialogue avec Vélasquez et ses papes, celui qui reconsidère l'anatomie, dépèce les corps, les comprime, le boucher qui coupe têtes et jambes, celui qui fait parler l'envers des visages, celui qui fait exécuter des pirouettes à des hommes-viande dans un ciel sans horizon. »

Avec ce style, cru et poétique, Franck Maubert donne à voir les manières et les obsessions d'un artiste à vif. « Je suis épaté par les quantités d'alcool qu'il absorde sans vaciller », note au passage l'auteur, qui aimerait percer le mystère ultime en voyant Bacon au travail, peignant.

Le livre se poursuit par une rencontre plus feutrée à Paris, dans le bar d'un grand hôtel ou l'enregistrement d'une émission de télé branchée des années 80. Au fil du récit, Franck Maubert offre une vraie rencontre avec l'homme Bacon, mais aussi ses sentiments sur son oeuvre, la manière dont elle dialogue avec celle des grands maîtres, même si le peintre se refuse souvent à parler de son travail. Il fuit les explications, les interprétations, partage un peu son imaginaire, mais toujours par bribes, à demi-mots, cultivant le mystère entre un verre d'alcool et un éclat de rire sonore. « A celui qui regarde ses oeuvres, de creuser, de faire son chemin », de s'abandonner pour apprécier un art qui se joue des antagonismes, des chocs visuels. « J'aime tout chez Bacon, confie l'auteur, l'oeuvre et l'homme, l'homme et l'oeuvre, sans réserve. Toutes ses contradictions, tous ses paradoxes : tradition et modernité, raison et déraison, contrôle et démesure, intelligence et frénésie, monstruosité et beauté. La charge émotionnelle de ses tableaux naît de ces contradictions. »

Avec Bacon, de Franck Maubert. Editions Gallimard. 144 pages. 9,50 €.

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