top of page

Dora Maar, un portrait à travers son carnet d'adresses


Avec "Je suis le carnet de Dora Maar", l'écrivaine et journaliste Brigitte Benkemoun livre une enquête passionnante autour de la peintre et photographe, muse et maîtresse tempétueuse de Picasso.

A comme Aragon, B comme Breton, Balthus ou Brassaï, C comme Cocteau... L'histoire est à peine croyable, elle donne lieu à un livre enquête passionnant, Je suis le carnet de Dora Maar publié chez Stock. Voulant remplacer l'agenda Hermès perdu de son compagnon, Brigitte Benkemoun en trouve un sur un site d'enchère en ligne. Quand elle l'ouvre, elle tombe sur un petit carnet d'adresses, 20 pages où figurent les domiciles et les numéros de téléphone de tout le Paris artistique de l'année 1951. Elle se lance alors dans une enquête pour découvrir l'ancienne propriétaire du carnet et prend la direction de Ménerbes où habitent plusieurs correspondants de la personne qui a griffonné ces lignes. Dans le village ont vécu deux artistes, Nicolas de Staël et... Dora Maar, l'ancienne compagne de Picasso, la muse éconduite, la femme qui pleure. Grâce au galeriste Marcel Fleiss, spécialiste du surréalisme et le dernier à avoir exposé Dora Maar, elle obtient une confirmation définitive sur l'identité de l'ancienne propriétaire du carnet sans jamais vraiment savoir comment l'objet s'est retrouvé en vente sur Ebay.

A partir de là, l'auteur se lance dans un défi surréaliste, une enquête pour brosser le portrait de Dora Maar à travers ses relations avec les personnes du répertoire. Peu à peu, se dessine les contours d'une existence étrange, selon les moments sombres ou flamboyantes. Car, sans doute fragile dès le départ, Dora Maar va plonger à partir de sa rupture avec le maître espagnol dans la dépression, une forme de folie et de réclusion volontaire, jusqu'à sa mort à près de 90 ans en 1997.

Au fur et à mesure, l'imprévisible se coupe de tout le monde. Brisée par son histoire d'amour, Dora Maar se réfugie dans une foi chrétienne sans doute assez proche de l'intégrisme, essayant même de convertir son ancien amant pour sauver son âme. L'ancienne révolutionnaire, devenue acariâtre et paranoïaque, glisse vers la droite extrême, l'homophobie, l'antisémitisme... Elle possédait même un exemplaire du sulfureux et abject Mein Kampf, avec à l'intérieur en guise de marque-page, une photo d'Adolf Hitler lors de sa visite à Paris !

Mais Brigitte Benkemoun, malgré ses interrogations à l'égard de son sujet, se garde de conclusions hâtives et poursuit ses recherches pour trouver, malgré les fautes d'orthographes dans les noms propres, les histoires intimes qui liait Dora Maar avec les noms du carnet. Certains sont célèbres, l'écrivain André Breton rencontré au début de l'épopée surréaliste, le photographe Brassaï avec lequel elle débute, le poète Paul Eluard omniprésent pendant les années passées avec Picasso, Jean Cocteau, son psychanalyste Jacques Lacan.

Au fil de l'histoire, réapparaissent aussi des personnages oubliés comme le préfet André-Louis Dubois, protecteur des artistes pendant l'occupation. Haut-fonctionnaire atypique, il a été le premier préfet suspendu par le régime de Vichy pour avoir fourni trop de passeports aux juifs essayant de quitter la France à Bordeaux. Il a été remplacé par Maurice Papon, on connaît la suite de l'histoire...

Et puis, au fil des pages, Brigitte Benkemoun retrouve des relations plus prosaïques, Bidance, le plombier qui installe l'eau courante aux Grands-Augustins quand Picasso peint son Guernica ou sa manucure qui lui permettait d'arborer en permanence des ongles étincelants comme dans les portraits tragiques de Picasso. Car en contre-champs de cette vie, il y a toujours l'ogre espagnol, l'amour et la haine, l'obsession jusqu'à la folie et heureusement la passion de l'art.

"Je suis le carnet de Dora Maar", de Brigitte Benkemoun. Editions Stock, 336 pages. 21,50 €.

 FOLLOW THE ARTIFACT: 
  • Facebook B&W
  • Twitter B&W
  • Instagram B&W
 RECENT POSTS: 
bottom of page