Alès : le trait foudroyant de Jean Cocteau au musée PAB
Le musée Pierre-André-Benoit à Alès présente 250 oeuvres de Jean Cocteau, principalement issues de la collection Ioannis Kontaxopoulos.
Mondain et touche-à-tout, Jean Cocteau est souvent regardé avec dédain par certains historiens de l'art qui le réduisent au rôle d'ami de Picasso et de chroniqueur des mondanités artistiques de son temps. C'est peut-être la rançon du succès... Quand le centre Pompidou lui consacrait une rétrospective en 2003, certains critiques faisaient la moue alors que le Cocteau cinéaste est célébré, que le Cocteau écrivain est étudié... Mais ce qui fait le lien entre toutes les multiples activités de l'artiste, c'est la poésie et l'exposition que lui consacre le musée Pierre-André-Benoit à Alès montre comment, à travers elle, tout s'entremêle pour construire une oeuvre passionnante, riche, plurielle et ouverte.
Comparée à celle de ses contemporains, la peinture de Cocteau a beaucoup vieilli, elle n'a ni la force de celle de Picasso, ni la légèreté de celle de Miro, ni la grâce de celle de Matisse. C'est à travers le dessin que Cocteau s'est le mieux exprimé. Et c'est à travers le dessin, « une écriture dénouée et renouée autrement » que l'exposition du musée Pierre-André-Benoit propose de traverser son oeuvre, grâce à l'exceptionnelle collection de Ioannis Kontaxopoulos. L'accrochage, dense mais toujours d'une grande fluidité et lisibilité, réunit 250 pièces, dessins, gravures, éditions originales et livres illustrés à travers quelques fils thématiques.
Le premier, c'est bien sûr la figure humaine, omniprésente dans son travail et qui exprime au mieux cette assurance du trait étourdissante. Avec une ligne épurée, le visage parfois simplement réduit au triangle yeux, nez, bouche, Cocteau touche toujours juste. « Le grand style, c'est la chose très difficile dite simplement », explique le poète, avec son sens de la formule qui fait mouche. En 1960, pour le dessin La Poésie, il résume son projet : « Produire de la beauté au lieu de la reproduire ». Qu'il s'agisse des portraits pleins de vie de Balzac, des hommages à La Fontaine, à Nietzsche ou à Molière, d'un clin d'oeil à sa voisine du Palais-Royal Colette, des corps estropiés pour le livre Opium ou d'un portrait de sa mécène Francine Weismeiller, Cocteau fait circuler un éclair fulgurant, foudroyant entre son oeil et sa main.
Jusqu'à la fin de sa vie, Cocteau cultive une curiosité insatiable, mêlant son inspiration et son instinct à des références multiples à la mythologie, à la littérature ou à l'histoire de l'art. L'académicien se place lui-même dans ce long héritage de la culture occidentale, comme le montre un autoportrait en Hommage à Giotto.
Dans ses multiples autoportraits, Cocteau abandonne la légèreté pour une certaine raideur, une forme d'inquiétude, notamment dans le regard.
La série réalisée pour Le Mystère de Jean l'Oiseleur, chef-d'oeuvre de 1925, peu après la mort de Raymond Radiguet, permet de remettre les pendules à l'heure : Cocteau est tout simplement l'un des plus grands dessinateurs du XXe siècle.
L'exposition se poursuit avec ses visions de l'Antiquité, source d'inspiration inépuisable. Cocteau revient souvent sur la figure du faune, se rêve en double d'Orphée, revisite des histoires fondatrices et lourdes de sens qu'il détourne, adapte, prolonge, réinvente, modernise... Mais au-delà de l'aspect thématique, l'artiste est aussi un fin observateur de l'art hellénique. Son dessin, avec un simple trait pour les contours, évoque les peintures des poteries grecques.
Sur la Côte-Azur, Cocteau s'empare d'ailleurs de la céramique pour une série d'oeuvres célébrant les mythologies méditerranéennes, avec la même justesse du trait qui caractérise ses dessins.
Comme Picasso, Cocteau croque aussi avec bonheur le monde du spectacle et notamment celui du cirque où il aime s'encanailler. Il s'intéresse à la corrida dans laquelle il voit un combat sexuel, une fête mystérieuse et païenne.
Avec ses œuvres érotiques, l'artiste laisse exploser ses pulsions. Cocteau a été l'un des premiers artistes à assumer son homosexualité, sans réellement la revendiquer pour autant, formant avec Jean Marais un couple médiatique et lumineux. Mais les dessins pour Querelle de Brest de Jean Genet ne laissent aucune place à l'équivoque avec les corps musculeux aux sexes dressés. Ils annoncent une iconographie gay avant l'heure, que l'on retrouve autant dans les films de Fassbinder, dans les bande-dessinées de Tom of Finland ou les photos de Mapplethorpe.
Dans Le Livre Blanc, Cocteau se fait plus délicat, dessinant le corps alangui et endormi de son amant Jean Desbordes, avec un style élégant et tout en suggestion.
Affranchi, il ose même mélanger le sexe et l'humour. La version qu'il présente du Bel Indifférent n'est pas celle qui vient spontanément à l'esprit quand on entend la pièce par Edith Piaf...
Il revisite aussi l'art sacré, toujours de façon très libre. L'exposition présente notamment son projet pour la chapelle de Villefranche-sur-Mer. Mais également un sublime Adam et Eve, les corps enlacés, un serpent autour du cou, d'un coup de feutre qui interdit non seulement tout repentir, mais même tout écart.
Fidèle à son travail autour du livre d'artiste, le musée PAB présente en fin de parcours une série de collaborations de Cocteau et d'hommages, petits et grands trésors de bibliophilie, L'Ange Heurtebise avec Man Ray, Pégase avec Léopold Survage, Le Dragon des mers avec Foujita, Escales avec André Lhote, des photos de son ami arlésien Lucien Clergue ou une éblouissante variation de Bernard Buffet autour de La Voix Humaine.
Pour être complète, l'exposition évoque même sa relation sulfureuse avec Arno Brecker, qu'il connaissait depuis les années 20 à Montparnasse, le sculpteur favori d'Hitler qui lui permettra de passer une Occupation tranquille malgré sa liberté jamais démentie.
Jusqu'au 6 octobre. Août, tous les jours, 11 h-18 h. Septembre, octobre, tous les jours, 14 h-18 h. Musée PAB, rue de Brouzen, Rochebelle, Alès. 5 €, 2,50 €. 04 66 86 98 69.
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