Thiers : les corps absents des mountaincutters au Creux de l'enfer
Une proposition lourde de sens du duo mountaincutters au Creux de l'enfer à Thiers.
Pour des artistes qui travaillent avec l'environnement, l'histoire et l'esprit des lieux, le Creux de l'enfer à Thiers, dans le Puy-de-Dôme, ne pouvait qu'être une source d'inspiration forte. Jusqu'au 22 septembre, le duo mountaincutters présente l'exposition "Anatomie d'un corps absent", dans ce centre d'art contemporain hors norme. Au printemps, les artistes étaient à l'affiche avec "Equation de vent zéro" à la chapelle des Jésuites de Nîmes, invités par l'école des Beaux-arts.
Diplômés de l'école de Marseille, les plasticiens vivent aujourd'hui en Belgique. Ils développent un travail poétique autour de l'espace et de la mémoire, en détournant des matériaux industriels et naturels pour des installations chargées d'une énergie qui traversent l'espace temps.
Ancienne usine installée au fond de la vallée de la Durolle, près du bouillonnement incessant du torrent, le Creux de l'enfer porte bien son nom. Le quotidien des ouvriers forgerons y était littéralement infernal. Et en même temps, cette rivière charriant de façon tonitruante les blocs de granit au coeur d'un canyon auvergnat est fascinante de puissance et d'énergie. Les artistes ont parfaitement saisi cette ambivalence pour une série d'oeuvres dialoguant avec la nature et cette histoire industrielle.
Fidèle à leur vocabulaire plastique, les mountaincutters conçoivent des structures de métal, comme du mobilier dont on aurait perdu la signification et l'utilité pour y installer des objets, réceptacles de la mémoire des corps absents, de formes de vie, d'éléments minéraux ou naturels. Avec une pratique in situ, ils invitent à la fois à découvrir leur univers personnel et à envisager l'environnement autrement.
Ouvrant l'issue de secours du bâtiment, ils guident les visiteurs vers l'extérieur de l'usine pour sillonner parmi les herbes folles et les fabriques en ruine. Là, sur des structures de métal, chariots flottant sur des roues de verre immaculées, ils posent leurs céramiques aux formes organiques, visibles depuis les fenêtres brisées d'une usine à l'abandon. Objets oubliés d'une époque ancienne ? Nouvelles formes de vie en éclosion ? Voici un moment suspendu, un vagabondage dans les vestiges et l'imaginaire hors de l'affolement contemporain.
Au rez-de-chaussée de l'ancienne usine, ils évoquent plus directement le passage des ouvriers avec des installations où circule la mémoire de façon imprévisible, évoquant parfois l'arte povera avec des gros blocs de pierres récoltés dans la vallée, encore couverts de mousse. L'un d'eux vient écraser la planche sur laquelle se couchait un ouvrier, attachée à un gros fil de cuivre en tension, conducteur d'une énergie secrète. Sur des structures métalliques, ils posent des plaques de cuivre, courbées comme si elles avaient accueilli les corps allongés des forgerons. De lourdes lampes éclairent le sol, noircies par des heures de voltage brûlant, prêtes à tout faire étinceler ou à tout court-circuiter.
A l'étage, l'ambiance se fait plus horizontale. Dans des bols en terre cuite ou des bacs de métal, les mountaincutters dispersent de l'eau de la rivière gélifiée, comme pour arrêter le mouvement incessant de la rivière. Dans cet éparpillement, la couleur rouille omniprésente rappelle la marche du temps qui engloutit le présent, les hommes et la nature. Une chaise d'enfant, posée sur des roulettes de verre, est tournée vers l'extérieur, signe de l'absence des corps et petit espoir d'un ailleurs plus apaisé.
Jusqu'au 22 septembre. Mardi au dimanche, 14 h-18 h. Le Creux de l'enfer, Vallée des usines, 85 avenue Joseph-Clausat, Thiers. Entrée libre. 04 73 80 26 56.