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Aix-en-Provence : regards sur la Sainte-Victoire au musée Granet


Une variation autour du motif de la Sainte-Victoire, à l'occasion de l'arrivée au musée Granet d'Aix-en-Provence d'une toile de Cézanne.

Cela peut paraître curieux, mais il n'y avait qu'une seule Sainte-Victoire peinte par Cézanne dans les collections publiques françaises, une huile de 1890 au musée d'Orsay, à Paris. Depuis peu, une deuxième est visible au musée Granet d'Aix-en-Provence, grâce au dépôt du Kunstmuseum de Berne, en accord avec la famille de l'artiste. L'arrivée du tableau, daté de 1897, est l'occasion pour le musée de proposer Sainte(s)-Victoire(s), exposition réunissant plusieurs regards sur ce paysage mythique, trente ans précisément après le terrible incendie qui avait dévasté le site durant l'été 1989.

L'histoire de ce nouveau tableau qui rejoint les collections françaises est intéressante. Il avait disparu pendant près de 75 ans. En 1939, à la veille de la Première Guerre mondiale, il était encore signalé comme appartenant au fils de Paul Cézanne lors d'une exposition à Lyon, puis on perd sa trace. Il a été redécouvert en 2014, à Salzbourg en Autriche, démonté de son châssis, entre deux cartons, dans un placard. A la suite d'un banal contrôle douanier, sont retrouvés 1 500 tableaux, parmi lesquels des toiles de Brueghel, Cranach, Courbet, Monet, Picasso ou Chagall... C'est le trésor Gurlitt, du nom de Hildebrandt Gurlitt, marchand d'art qui s'enrichit considérablement pendant la guerre grâce aux spoliations et qui fut investi par Hitler de rassembler des oeuvres pour créer le "musée du Führer", à Linz, sur le Danube.

Malgré les opérations de restitutions, Gurlitt, puis son fils Cornelius, ont réussi à préserver cette collection, le père affirmant que la plus grande partie avait disparu lors du bombardement de Dresde. En 2014, le fils signe un protocole avec l'état allemand conduisant à la restitution potentielle de 590 tableaux. A sa mort, la même année, il lègue sa collection au Kunstmuseum de Berne. Le musée s'engage alors dans une vaste opération de recherches des propriétaires. La Sainte-Victoire de Cézanne ne fait pas partie des tableaux volés, même si l'origine de son acquisition reste mystérieuse. Un accord est donc trouvé entre le musée et la famille Cézanne pour régler la situation juridique de l'oeuvre. Tout en conservant la propriété du chef-d'oeuvre, le musée suisse accepte de prêter pour une période de 30 ans renouvelables le tableau au musée d'Aix-en-Provence, où il a été peint. Le musée Granet devient donc le second musée français à pouvoir exposer de façon permanente une Sainte-Victoire, après le musée d'Orsay. Les autres sont dispersées à travers le monde, la plupart aux Etats-Unis...

Pour célébrer cette arrivée, la toile est donc exposée, accompagnée du tableau du musée parisien, et d'un prêt de la collection Henry et Rose Pearlman foundation, déposée au musée de Princeton, dans le New Jersay. Cette troisième toile est exceptionnelle puisque c'est la seule représentation de la Sainte-Victoire par Cézanne dans un format vertical, soulignant avec majesté sa forme triangulaire.

Les trois toiles cézanniennes sont encadrées par deux évocations du motif, avec d'abord une série de toiles des écoles provençales. Avant Cézanne, la Sainte-Victoire n'a pas encore son statut mythologique dans l'histoire de l'art et elle n'apparaît dans les tableaux que comme un élément de décor accompagnant diverses scènes. C'est notamment le cas dans une toile de Jean-Antoine Constantin, considéré comme le père du paysage provençal. On la voit également en arrière-plan dans un tableau de son élève François-Marius Granet, La Montagne Sainte-Victoire vue d'une cour de ferme.

Après Cézanne, de nombreux artistes vont venir sur les lieux. Et le musée poursuit la présentation avec notamment une toile de Pierre Tal-Coat, à la lisière de l'abstraction qui célèbre à travers elle les cultures méditerranéennes ou un tableau d'André Masson, où il revisite l'héritage de Cézanne de façon très personnelle, dans des tonalités ocre. Plus près de nous, le photographe Bernard Plossu souligne la majesté de ce paysage dans un petit format noir et blanc, la montagne pointant son sommet sous un énorme nuage.

Et bien sûr, la Sainte-Victoire apparaît dans des toiles de Picasso, à travers deux vues de Vauvenargues. Dans une conversation avec son ami et marchand Henry-David Kanhweiller, l'Espagnol s'amusait en disant qu'il avait acheté la vraie Sainte-Victoire, les terres attenantes à son château s'étendant sur une large partie du flanc nord de la montagne. A la fin de sa vie, sans jamais peindre le motif cher au peintre qu'il admirait tant, il peint donc le village de Vauvenargues, laissant deviner en fond, comme les Provençaux avant lui, le triangle mythique de la sainte montagne.

Jusqu'au 29 septembre. Mardi au dimanche, 10 h-19 h. Musée Granet, place Saint-Jean-de-Malte, Aix-en-Provence. 8 €, 6 €, gratuit - 18 ans. 04 42 52 88 32.

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