Nîmes : les théâtres de l'histoire par Peter Friedl à Carré d'art
Le musée Carré d'art à Nîmes présente l'exposition "Teatro" de Peter Friedl, qui construit une oeuvre aux narrations complexes pour sonder les zones d'ombre de l'histoire.
« Le passé n’est pas perdu. Le passé fait partie du présent », explique Peter Friedl. Et à ce titre, il continue à se redéfinir dans le présent, à colorer le présent. À l’affiche au musée d'art contemporain Carré d’art, à Nîmes, l’artiste autrichien met en scène une œuvre où il remet en question la construction de l’histoire, à travers de nouveaux modèles de narration où l'univers du théâtre et de la scène sont omniprésents, parfois simplement réduits à l'idée de décors ou de costumes. Né en 1960 en Autriche, travaillant désormais à Berlin, Peter Friedl est présent dans plusieurs grandes collections (Reina Sofia à Madrid, Centre Pompidou à Paris) et a représenté son pays lors de la 48e biennale de Venise en 1999.
Dès la première salle, dans son Teatro Popular, conçu pour une exposition à Lisbonne, il reprend la tradition du théâtre populaire de marionnettes mais autour du personnage typique de Dom Roberto, il installe des personnages qui font référence au monde lusophone, à son passé colonial, réunissant plusieurs temporalités avec des marionnettes prêtes à être réactivées.
Dans The Dramatist, oeuvre appartenant à la collection permanente du musée nîmois, Peter Friedl utilise aussi les marionnettes pour faire cohabiter des personnages appartenant à des périodes différentes, Henry Ford, Giulia, la femme du philosophe Antonio Gramsci, un Black Hamlet et Toussaint Louverture, figure de la révolution haïtienne.
Cette idée de reconstitution, de mélange des cultures et des époques pour questionner les héritages, est également au cœur de la spectaculaire œuvre Rehousing, dont le titre est une référence au plan de lutte contre l'exclusion américain "Homelessness prevention and rapid re-housing program". Comme pour dresser un portrait du monde, Peter Friedl présente un ensemble de maquettes de maisons. Autour de la maison d’enfance de l’artiste, prennent place une cabane d’esclaves dans une plantation américaine, un conteneur dans un camp de réfugiés, la résidence d’Ho Chi Minh à Hanoï, un dôme géodésique construit par une communauté hippie ou la maison de Nelson Mandela à Soweto aujourd’hui convertie en musée. Toutes sont présentées dans une commune neutralité, dressant une histoire politique où s’entremêlent l’idéologique et le biographique.
Face à cette installation, Peter Friedl évoque la violence du monde avec la vidéo Liberty City, inspirée par le passage à tabac d'un jeune noir-américain par la police. La scène est rejouée, mise à distance dans une ambiguë inversion des rôles. Cette violence interpelle aussi avec Dummy, présentée pour la Documenta 10, où il met en scène une agression gratuite, dans une courte vidéo en boucle.
La question du regard singulier, de la façon dont il se construit pour lire le monde et son histoire, est une constante du travail de Peter Friedl. Dans Study for social dreaming, il filme dans un théâtre italien des personnes qui racontent leurs rêves. Ensemble, ils interrogent la réalité pour créer un nouvel espace onirique. Le point de départ de cette recherche est le livre de Charlotte Berardt, Rêver sous le IIIe Reich, compilation de rêves des années 1930 et première tentative de donner une dimension sociale et anthropologique au rêve.
Cette parole à la fois personnelle et collective donne aussi naissance au projet Teatro, créé pour la délocalisation grecque de la Documenta en 2017 et qui donne son titre à l'exposition nîmoise. Peter Friedl présente d’abord une maquette du Théâtre national grec, volume paradoxal jouant avec l'illusion, dans lequel il filme ensuite Report.
Dans cette vidéo polyphonique, il s’empare d’un texte de Kafka, Compte-rendu pour une académie où l'écrivain tchèque imagine l’histoire d’un singe qui intègre la société des hommes et en quelques années devient un modèle d’Européen moyen. L’artiste présente le texte, récité par des hommes et des femmes non comédiens, venus d’horizons divers, reflets à travers leurs langues maternelles de la diversité du monde. Le grec côtoie le kurde, le russe, le français ou l’arabe, mais le film n'a pas sans sous-titre, car l’idée est de montrer avant tout « la diversité du monde, des visages, des singularités, l’histoire des déplacements, du colonialisme et ses répercussions aujourd’hui ».
Peter Friedl laisse toujours au regardeur une grande liberté, l’interpelle, l’oblige à s’en servir. Avec les tables de la vaste installation Theory of justice, dont le titre est inspiré par les travaux du philosophe John Rawls, Peter Friedl juxtapose des images d’archives, toutes sorties de leur contexte et simplement présentées par ordre chronologique. Chacun en fonction de son histoire, de sa culture s’accroche à un détail connu ou reconnu et dérive parmi les autres. Ainsi, l’artiste interroge « la façon dont les photos d’histoire deviennent des photos historiques », dans une méditation mélancolique, « car avec le temps, le contexte disparaît », emportant avec lui le sens des images.
Jusqu'au 1er mars 2020. Carré d'art, place de la Maison-Carrée, Nîmes. 8 €, 6 €. 04 66 76 35 70.
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