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Le Livre d'image de Jean-Luc Godard


"Le Livre d'image" de Jean-Luc Godard, nouvel opus cryptique du réalisateur de la Nouvelle Vague.

Pour la projection de son dernier film Le livre d'image, Jean-Luc Godard a choisi de quitter les réseaux de distribution classique. Après un parcours à l'intérieur du théâtre des Amandiers de Nanterre, le film était présenté récemment à l'école supérieure des Beaux-arts de Nîmes. Il va ensuite poursuivre son itinérance, présenté chaque fois sous la forme d'une installation différente, les hôtes étant invités à réfléchir pour la projection à la notion d'hospitalité. En même temps, pour être parfaitement honnête, il faut reconnaître que le film, Palme d'or spéciale 2018 du festival de Cannes, n'aurait sans doute pas été véritablement distribué en dehors de quelques salles du quartier Latin à Paris et sans doute pour quelques semaines seulement. Jean-Luc Godard, de manière fort intelligente, préfère s'extraire du circuit commercial pour proposer avec ce film une véritable expérience sensorielle, qui dépasse le cinéma classique ou l'art contemporain institutionnel. Il a bien raison !

La première impression qui naît devant cet objet cinématographique relève du trouble, du mystère, de l'insondable, de l'ivresse. Dans le déluge d'images choisies par Godard, on aperçoit à un moment Adam et Eve chassés du Paradis par Masaccio. C'est peut-être l'un des points de départ du film... Que s'est-il passé depuis ? Projet colossal et titanesque... Et en même temps, les choses sont malheureusement assez simples. Qu'y a-t-il eu depuis ? La guerre, la guerre et la guerre. Guerre militaire, politique, culturelle, sociale, contre les hommes, contre la nature, contre l'esprit.

Dans le chaos d'un monde épileptique où les images sont omniprésentes, où elles ont perdu leur sens et leur symbolique, « on n'y voit rien », pour paraphraser Daniel Arasse. Mais à l'inverse des analyses de l'historien de l'art, il ne faut pas compter sur Godard pour un éclaircissement. Le Livre d'image est l'écho de cette absurdité croissante. Et ce n'est pas la longue et passionnante interview accordée par l'ermite de Rolle à Stéphane Delorme et Joachim Lepastier, les arrières-petits-enfants des Cahiers du cinéma qui apporte une véritable explication.

Après Film Socialisme et Adieu au langage, Jean-Luc Godard poursuit avec cet essai plastique une recherche depuis longtemps engagée autour du cinéma en tant que mode d'expression. Comme avec Agnès Varda ou Alain Cavalier, il est assez passionnant et palpitant de voir un cinéaste de cette ampleur bientôt nonagénaire, une légende (c'est objectif), un génie (c'est subjectif), qui abandonne tous les codes classiques, notamment la narration, pour construire une oeuvre aussi personnelle et aussi contemporaine. Contemporaine par sa forme, mais aussi contemporaine par le regard actuel qu'elle porte sur le monde.

Dans une curieuse construction dialectique, le film cryptique alterne deux registres. Avec Arabie heureuse, la partie finale, il esquisse d'une voix crépusculaire une bribe de narration à la manière d'un conte oriental et pétrolier sur le pouvoir et les croisades. Les obsessions esthétiques et politiques qui travaillent depuis longtemps son oeuvre traversent, parfois furtivement, cet opus singulier, la Seconde Guerre mondiale, les révolutions socialistes, le colonialisme, Mao, la guerre du Vietnam, la Palestine...

Mais les obsessions de Godard sont également d'ordre esthétiques. Avec des images surexposées et saturées, il transforme l'écran en toile fauve, aux couleurs criardes, où le montage haché enchaîne les images, parfois sur le mode d'un glissement façon marabout bout de ficelle, parfois avec des tête-à-queue brutaux. L'installation, voulue par Godard pour les projections, dispersent le son pour un montage savant fait de superpositions et d'accidents, un travail sur le son et l'image, sur le son sans l'image, sur l'image sans le son. Curieusement, malgré la surprise qui naît de la découverte de ce film et malgré la différence formelle définitive, reviennent en mémoire les rouges du Mépris, les ruptures d'A bout de souffle, les formules cinglantes de La Chinoise...

Dans les premiers chapitres, il mélange des extraits de ses films, des images filmées par Carné, Pasolini, Fellini, Hitchcock, Cocteau ou Bresson, des archives, des reportages, truffant ces éclats de références à Céline, à Malraux, au Caravage, à Rimbaud, à Delacroix, à Caillebotte, à Rosa Luxembourg, à Joseph de Maistre, il s'interroge sur le contrepoint et la mélodie, sur la répétition, sur la force de la loi, sur les religions du livre, sur les cris et les chuchotements de l'époque, la violence de la représentation.

Parmi les nombreux plans, reviennent souvent des trains, les trains qui traversent le Grand Ouest américain dans des westerns, des trains qui emmènent les Parisiens en vacances à la campagne, des trains qui déportent les Juifs vers le camps de concentration... « Les films avancent comme des trains, tu comprends ? Comme des trains dans la nuit », disait son ami-ennemi François Truffaut dans La Nuit américaine, film par ailleurs descendu à l'époque par Godard. Le train, c'est aussi la gare de la Ciotat, le motif de l'un des premiers films des frères Lumière. Car heureusement, dans ce chaos, il y a eu le cinéma et Godard pour faire avaler la pilule...

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